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Quand la lecture fut achevée, il y eut quelques secondes de silence. Je sentis que tout était fini. Un des condamnés essaya de tourner la tête, il n’en eut pas le temps. Involontairement je fermai les yeux, mais involontairement aussi l’explosion me les fit ouvrir, et je vis les quatre hommes bondir sur eux-mêmes comme des clowns qui font un saut de carpe, et disparaître dans la tranchée. Puis j’entendis quatre coups de grâce, et les clairons sonnèrent aussitôt le départ. Un piquet de quelques soldats fut seulement mis en faction près des cadavres, qui devaient rester exposés là jusqu’au soir, pour être livrés alors à leur famille, si quelqu’un les réclamait.

Tout le jour, la pluie tomba sur eux. Vers le soir, le temps s’étant éclairci, je pus sortir de nouveau pour aller voir ce qu’ils devenaient. Il y avait là plusieurs Arabes avec des chevaux et des bêtes de somme. Quand on jugea que le soleil se couchait, les sentinelles s’éloignèrent. Alors, sans cris, sans pleurs, comme s’il se fût agi d’un ballot, chacun des cadavres fut hissé, puis couché en travers d’un mulet, puis ficelé de manière à garder son équilibre. Aussitôt la cavalcade prit le pas et s’éloigna du côté de la Chiffa. Les corps étendus à plat dépassaient, de toute la longueur de la poitrine et des jambes, le bât très étroit qui leur servait de civière. Ils étaient horriblement raidis par ce séjour de six heures au froid, et suivaient sans fléchir le pas balancé des animaux : à les voir à distance et vaguement dessinés sur le ciel, où le jour s’éteignait, on eût dit que les mulets portaient des planches.


Blidah, mars.

Le printemps s’établit. Nous voici dans la saison variable, avec un soleil déjà chaud, des jours splendides, et de temps en temps de fortes pluies qui sont amenées par des orages et jamais ne durent plus de quelques heures. Le vent ne se fixe nulle part ; il hésite entre son point d’hiver et celui d’été, et fait à tout moment le tour du compas. Le thermomètre se maintient au tempéré, entre un minimum assez rare de 15 à 18 degrés et un maximum de 24 à 25 degrés. Les neiges commencent à fondre. L’Oued coule à pleins bords. Les petits ruisseaux qu’il alimente ont grossi, et les jardins sont de plus en plus égayés par le mouvement joyeux des eaux courantes. Il n’y a presque plus d’eau dans la plaine, où le lac lui-même est à peu près rentré dans son lit. Il apparaît à gauche du Mazafran, derrière les Hadjout, étendu au pied du Tombeau de la Chrétienne, sur une ligne mince, ayant la forme et l’éclat vibrant d’une longue épée.

Quelquefois, après une semaine de chaleur continue, le ciel se