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pouvions voir ce qui se passait à l’intérieur à peu près aussi bien que si nous y fussions entrés. C’était une petite fête de famille où chacun faisait sa partie. On formait cercle devant le seuil d’une chambre basse où se tenait assise, présidant la réunion, qui sans doute avait lieu pour elle, une jeune et jolie négresse, ayant la gorge découverte et allaitant un nourrisson complètement nu. Deux Mauresques accroupies sur des tapis tenaient chacune une paire d’énormes castagnettes de fer, beaucoup trop lourdes pour leurs mains menues. Deux nègres frappaient en chantant sur des tambourins ; un troisième, debout à quelques pas de la nourrice, à moitié déshabillé, nu-tête et la ceinture au vent, exécutait des danses furieuses en l’honneur du nouveau-né. La cour était petite et presque entièrement plafonnée par un vaste figuier sans feuilles, mais tellement noueux et si branchu que la multiplicité de ses rameaux formait une ombre sur le pavé. Le pied de l’arbre trempait dans une flaque d’eau croupissante où s’agitaient des canards ; des poules attachées deux à deux par la patte, comme des prisonniers dont on se défie, se promenaient autour d’un fumier, très embarrassées de leur entrave, chacune tirant le fil à soi sans parvenir à marcher d’accord. C’était, comme tu le vois, une scène à la flamande on ne peut plus intime. Je ne composerais point le tableau ainsi ; mais je te rapporte exactement ce qu’on y voyait.

Un jeune enfant, qui n’était point occupé dans ce concert, nous aperçut, vint ouvrir la porte et nous introduisit. On se salua du geste et brièvement, afin de ne pas suspendre la fête une seule minute : le danseur activa sa danse en précipita la mesure, frappa ses castagnettes avec d’autant plus d’entrain et de gaieté qu’il avait maintenant deux étrangers pour spectateurs. Il était hors de lui, inondé de sueur et tout semblable à du bronze qu’on vient d’arroser.

Les Mauresques avaient le visage découvert : elles étaient jolies et bien mises, en tenue d’hiver, avec le kaftan à manches par-dessus le corset. Leur habillement se composait d’un ramage de soie à fleurs et de dorures, et toute leur personne imbibée d’eau de senteur exhalait une intolérable odeur d’ambre. Pas un de nous ne dit mot pendant une heure. Le nouveau-né, qui geignait en harcelant le sein magnifique de sa nourrice, était le seul dont on entendît la voix. Enfin le nègre se lassa naturellement le premier ; la musique aussitôt s’interrompit, et la fête finit comme finissent les fêtes de ce genre, où, chose incompréhensible, la lassitude vient toujours avant l’ennui. Nous primes congé des gens de la maison, et les Mauresques, qui n’étaient aussi que des invitées, firent, comme nous, leur dispositions de départ. Quand elles eurent repris leurs haïks, remis leurs masques de cotonnade blanche, et comme elles passaient