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comme une image anticipée des joies permises et promises du paradis, Il y avait là des jardins constamment verts, des rues tapissées de feuillage et plus ombreuses que des allées de bois, de grands cafés pleins de musique, de petites maisons habitées par des plaisirs délicats, des eaux partout et des eaux exquises ; puis, pour achever par les odeurs, le bien-être de ce peuple sensuel, la continuelle exhalaison des orangeries en fleurs y faisait de l’atmosphère tout entière un parfum. On y fabriquait des essences, on y vendait des bijoux. Les gens de guerre venaient s’y délasser, les jeunes gens s’y corrompre. Les marabouts, dont ce n’était pas la place, habitaient à l’écart dans la montagne. Les mosquées n’y figuraient que pour mémoire, et comme un chapelet dans la main des débauchés.

Blidah ressemble aujourd’hui, trait pour trait, à une Mauresque que je vois se promener dans la ville, qui a été belle et qui, ne l’étant plus, s’habille à la française avec un chapeau de mauvais goût, une robe mal faite et des gants fanés : plus d’ombre dans les rues, plus de cafés ; les trois quarts des maisons détruites et remplacées par des bâtisses européennes ; d’immenses casernes, des rues de colonies ; au lieu de la vie arabe, la vie des camps, la moins mystérieuse de toutes, surtout dans la recherche de ses plaisirs. Ce que la guerre a commencé, la paix l’achève. Le jour où Blidah n’aura plus rien d’arabe, elle redeviendra une très jolie ville ; la nouvelle Blidah fera peut-être oublier l’ancienne le jour où ceux qui la regrettent auront eux-mêmes disparu.

D’ailleurs il lui restera tant de choses pour l’embellir et pour la faire prospérer : — sa situation d’abord, si parfaite qu’on y rebâtirait encore, si un nouveau tremblement de terre démolissait la ville actuelle ; — un sol fertile, de belles eaux, mieux distribuées que jamais, que l’industrie française utilise, où les Arabes n’ont vu qu’un agrément, où nous trouverons des fortunes ; — à la porte de la ville, une plaine admirable, et la montagne au-dessus d’elle ; — un climat très doux, juste assez d’hiver pour aider les cultures européennes, un été qui semble propice aux tropicales ; un air salubre, peu de vents du désert, tous ceux de la mer et venant sans obstacle, depuis l’est jusqu’à l’ouest en passant par le nord plein ; — pour horizon, trois cent mille hectares de terre attendant la charrue ; — enfin, luxe assez rare, des orangeries fort amoindries, dit-on, mais qui font encore de cet ancien jardin des Hespérides le premier pays des oranges. Ce qu’il y avait de délicieux dans ce lieu de plaisance étant évanoui, il faut bien se consoler par le spectacle de l’utile. L’avenir effacera le passé, je le répète ; mais surtout il excusera le présent, qui, cela soit dit sans injustice, a besoin d’être excusé.

En attendant, j’erre au milieu de la ville informe, ne voyant pas