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jusqu’au-dessus de la taille, dans le dossier profond de sa selle, après quoi je continuai d’entendre pendant une ou deux minutes le bruit régulier de son baromètre frappant contre son herbier. En arrivant au bivouac, je retrouvai le personnage fumant sa pipe et causant. On nous présenta l’un à l’autre, et l’on nomma M. Louis Vandell. J’avais beaucoup entendu parler de lui. Partout on me l’avait cité pour ses courses aventureuses et pour la singularité de sa vie ; je pus donc lui dire sincèrement le prix que j’attachais à cette rencontre. Notre connaissance se fit au bivouac et le soir même. Ce fut moi qui le logeai, comme ayant le moins de bagage et le plus de place à donner dans ma tente. Il y déposa son porte-manteau, je veux dire un burnouss noir roulé et ficelé de courroies, sa selle arabe et ses instrumens ; il en composa son lit, sa couverture et son oreiller. La nuit fut magnifique, et je la passai presque tout entière à l’écouter. — Voyez-vous, me disait-il, ce pays est le mien : il m’a adopté ; je lui dois une indépendance sans exemple, une vie sans pareille. Voilà des bienfaits que je paierai, si je le puis, par un petit travail qui sera l’œuvre de mon repos. Communément, on croit que je flâne ; mais peut-être prouverai-je un jour que je n’ai pas tout à fait perdu mon temps, et ce baromètre, qui m’a valu mon nom arabe (Bou-Djâba, l’homme au canon de fusil), me paraît plus utile entre mes mains qu’un vrai fusil.

Il était sur pied au jour levant, appelant sa jument, qu’il avait lâchée sans autre précaution dans le bivouac. Il la sella, la sangla lui-même, après l’avoir fait déjeuner d’un peu d’orge qui restait dans un des compartimens de sa djebira (sacoche) ; les autres étaient pleins d’échantillons de pierres. Nous partîmes, et Vandell nous accompagna jusqu’à la grande halte. De temps en temps il mettait pied à terre, lorsqu’il rencontrait un point d’appui vertical qui lui convînt ; il y suspendait son baromètre, notait une observation sur un vieux cahier en lambeaux, puis il activait le pas de sa bête, qui jamais ne trottait bien vite, et rejoignait la queue du convoi.

— Je vous quitte ici, me dit-il quand on se remit à cheval pour l’étape du soir ; je dois coucher là-bas, où vous voyez cette montagne en bec d’aigle. — Puis il me tendit la main et me dit : — Je voudrais vous offrir quelque chose en souvenir de moi. — Et il tira de sa poche un bâton de sucre de réglisse noir, qu’il rompit en deux, plus une pelote de ficelle, dont il me donna la moitié. — Voici pour vous désaltérer, quand vous aurez trop soif, ajouta-t-il, et pour réparer votre équipage, si la chaleur fait casser vos sangles. Cela peut vous rendre un petit service à l’occasion. Maintenant à revoir, car, à moins que vous ne quittiez le pays bientôt, il est probable que nous nous reverrons. — À revoir ! lui dis -je, et je lui