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veloppé de l’abondante humidité qui tombait. Je ne distinguais plus la mer, je l’entendais. Alger s’étoilait de lumières, et partout où se cachait une habitation, la campagne obscure était piquée d’un feu rouge. En entrant dans le champ de manœuvres, j’aperçus vaguement le contour de ma maison, et je vis ma lampe allumée qui brillait par ma fenêtre ouverte.


7 février.

Je reçois aujourd’hui même la lettre que voici :

« On m’apprend que vous êtes revenu. Je suis à Blidah depuis trois jours, et je compte y séjourner une semaine ou deux pour y restaurer mon vieux cheval qui n’en peut plus. Si rien ne vous retient où vous êtes, je vous attends. J’ai vu ce matin même, près des orangeries, une petite maison selon vos goûts et les miens.

« En souvenir du passé qui nous a faits compagnons de route et par précaution pour l’avenir, je vous serre affectueusement la main.

« Bou-Djaba.

« Mon adresse : rue des Koulouglis, chez Bou-Dhiaf. » Une autre fois je te rappellerai, si tu l’as oublié, ce que c’est que mon ami Bou-Djaba, en français Louis Vandell. Pour le moment, je prépare à la hâte mon bagage de route, en vue d’une absence indéterminée, et je ferme, avec un peu de confusion de le trouver si vide, mon journal de Mustapha. Bonsoir, je pars demain par la diligence de sept heures.


Blidah, 8 février.

Me voici à Blidah, logé, installé et t’écrivant. J’ai fait la route à grande vitesse, dans une diligence où tout le monde, excepté moi, parlait provençal, ce qui m’a permis de ne pas dire un seul mot pendant un trajet de cinq heures. Cette faculté de se taire est la première liberté que je réclame en voyage, et je voudrais qu’il fût écrit dans un article spécial du droit des gens que chacun est tenu de la respecter chez les autres.

À peine ai-je eu le temps d’entrevoir Bir-Mandréis tandis que l’attelage en traversait au galop les pentes ravinées ; mais les chevaux, toujours épuisés après avoir escaladé, puis descendu la route en colimaçon du Sahel, soufflent ordinairement trois minutes devant la jolie fontaine arabe de Bir-Kradem. Elle est restaurée, recrépie, mais sans que le style en soit altéré, et j’ai pu, en examinant comme une ancienne connaissance cette élégante façade de mai’bre dorée par le soleil, rappeler à moi de vieux souvenirs africains qui datent de notre premier voyage.

La matinée était fraîche, l’air très vif, le ciel admirablement lim-