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et n’est plus marquée que par le jet rapide et blanchâtre des embruns. À chaque instant, le grain, qui redouble, rétrécit l’horizon en le fermant d’une nappe continue presque impénétrable, et tendue de haut en bas comme un rideau. La campagne, aussi déserte que la mer, est inondée, car la terre, surprise par ce brusque arrosement, n’a pu s’imbiber assez vite ; l’eau court dans les chemins changés en ruisseaux, ou séjourne à la surface des prairies ; le Hamma n’est plus qu’un long marécage. On voit des oiseaux épouvantés qui traversent comme des ombres le ciel couleur de boue-Incapables de gouverner au vent ni de soutenir un vol de quelque durée, ils plongent au premier buisson venu comme des oiseaux morts. Quant aux oliviers, ils font pitié sous cette pluie qui les rend semblables à des arbres du Nord et sous le vent glacé qui déchire leur maigre feuillage, en les frappant comme avec des lanières. Toute circulation semble interrompue ; personne encore n’a paru sur les routes. Chacun attend, pour reprendre ses habitudes, ou que la bourrasque ait cédé, ou que la saison se soit fait reconnaître par des rigueurs plus décisives.

J’ai visité mon jardin, qui forme un petit étang, puis la basse-cour, où le chien dort dans sa niche, où les chevaux dorment sur leur litière, où les pigeons ramagent doucement, retirés au plus, profond de leur colombier à claire-voie. J’ai revu mon voisin, M. Adam, debout au seuil de sa maison en ruines. Les poulets de son poulailler se consolaient de leur mieux en becquetant des grains oubliés sur l’appui délabré des fenêtres ; M. Adam fumait sa pipe allemande. Tristement il attend que la pluie cesse, et l’exil aussi. J’ai fermé les moindres ouvertures de mon logis, et, pour inaugurer la saison qui commence, j’ai allumé un grand feu de bois odorant. Me voici donc comme en France, les pieds devant la flamme, très étonné du changement qui s’est produit autour de moi depuis vingt-quatre heures, et bien averti que je vais avoir à payer de quelque ennui des satisfactions qui furent très vives. Au surplus, mon emprisonnement, car c’en est un, ne durera qu’autant qu’il me plaira de le prolonger : cela dépendra du poids de la solitude.


18 janvier.

Depuis cinq jours, j’assiste à quelque chose de moins redoutable, mais d’aussi désespéré qu’un déluge : un ciel noir, des eaux noires, presque pas de jour, un fracas monotone et assoupissant comme le silence, de la pluie, toujours de la pluie, qui tombe dans un marais, d’immenses cataractes qui vont descendre sur la mer. Le tonnerre a grondé la nuit dernière ; je l’entendais à peine au milieu du tumulte de l’air. Les volets de mes fenêtres, qui ne sont pas