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qu’un amphitéâtre sans couleur, ni les maisons turques d’un blanc de linge, et qui perdaient leur forme en n’ayant plus d’ombre, ni la mer, devenue livide, ni les bois du Sahel, d’un vert éteint. Quoique l’air fût encore tiède, on y sentait courir des fraîcheurs humides. En même temps , dans les villages, dans les fermes, quelques cheminées se mirent à fumer, comme si chacun profitait du même avis pour faire aussitôt ses dispositions d’hiver. Les pigeons répandus dans la campagne regagnaient deux par deux les colombiers. Les poules rentraient avec émoi. Il y avait au contraire des compagnies d’oies qui sortaient en hâte des basses-cours, et les canards domestiques battaient joyeusement des ailes en recevant la pluie, et poussaient Jeurs clameurs de mauvais augure au bord des réservoirs desséchés. Les merles volaient d’un arbre à l’autre, s’appelant par leur cri du soir, et, quoique le soleil n’eût pas quitté l’horizon, se couchaient déjà, par prévoyance, au plus épais des taillis. J’entendis chanter des grives, les premières peut-être que l’hiver eût chargées de ses messages, et des volées d’étourneaux, velaues des prairies, arrivaient par légions serrées pour s’assurer d’un abri sous les collines.

C’était bien l’été qui finissait. Il s’achevait sans violence, sous un ciel morne et doux, sans orage, et seulement par des ondées propices. Était-ce un dernier adieu de la saison maintenant passée ? était-ce le premier présent d’un hiver qui voulait qu’on fêtât son arrivée, et la signalait par des bienfaits ?


Même date, onze heures du soir.

Il pleut à torrens. Le vent est faible, mais il souffle directement de l’ouest, mauvais signe à pareille époque. La mer s’émeut. Je l’entends qui gronde au large, sous une nuit sans lune, sans étoiles, écrasée de nuages, et rendue plus épaisse encore par les flots de la pluie. C’est plutôt un murmure intérieur que l’agitation même des vagues. On dirait que la profondeur des eaux est remuée par un orage qui remonterait du fond des abîmes à la surface. Il n’y a pas le plus faible bruit dans la campagne, qui paraît morte ou frappée d’un sommeil de plomb. Les feux sont éteints depuis longtemps partout, même dans la partie du faubourg que j’aperçois de ma fenêtre. Adieu le ciel bleu, adieu le soleil, adieu tout ce qui semblait inaltérable !


13 janvier.

La pluie continue. Le vent, qui n’a fait que s’accroître d’heure en heure en se fixant à son point d’hiver, commence à labourer profondément les eaux de la baie. La côte a disparu dans les remous,