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rieure à la science commune, il faut s’attendre à se voir contester même la science commune, et le mérite ordinaire est toujours refusé à qui fait preuve d’un mérite extraordinaire. Qu’est-ce donc, s’il ne fait qu’y prétendre ? Sans garantir comme fondées toutes les plaintes qu’Auguste Comte a élevées contre l’injustice, nous avouerons qu’elles nous touchent. Bien convaincu que son caractère n’a pas été étranger à ses malheurs, et surtout que ceux qu’il accuse nominativement n’ont point mérité toutes ses accusations, nous ne pouvons qu’amèrement déplorer l’existence laborieuse et contrainte, la pénible infériorité de position à laquelle a été condamné, fût-ce par sa faute, un homme aussi réellement distingué, aussi cordialement dévoué à la recherche et à la propagation de la vérité. Quoi qu’il en soit, il a fait son œuvre. On peut douter qu’avec plus de loisir et plus de bonheur il eût donné à ses doctrines quelque chose de plus achevé pour le fond comme pour la forme. Il n’est pas de ces écrivains dont on sent en les lisant qu’ils sont plus riches que prodigues, et qu’ils tiennent en réserve des trésors que leur vie n’épuisera pas. Auguste Comte a dit tout ce qu’il a pensé, toute sa science a passé dans son enseignement.

Ses leçons de l’École polytechnique, bornées aux mathématiques pures, commencèrent en 1816 ; il les a continuées pendant vingtsix ans : elles duraient depuis six, lorsque, parvenu par ses méditations personnelles à ce qu’il appelle sa découverte fondamentale, à la solution telle quelle du problème encyclopédique qu’il s’était posé, il commença à consigner ses idées dans quelques publications partielles, et bientôt à les produire sous la forme de l’enseignement oral dans un cours qu’il ouvrit en avril 1826. Ses leçons se retrouvent dans son ouvrage imprimé, qui a mis douze ans à paraître. On rencontre sur sa vie et ses travaux des détails dignes d’attention dans la préface personnelle qu’il a placée en tête de son dernier volume, publié en 1842. C’est dans ce morceau, le seul qu’il ait écrit d’une manière intéressante, parce qu’elle est passionnée, qu’il raconte avec une sincérité et un courage parfaitement honorables l’histoire de son esprit, et qu’il écrit, — aveu que nul encore peut-être n’avait écrit, — que le cours de ses travaux a été interrompu par une crise cérébrale qui l’a condamné à tous les tristes traitemens infligés par la science aux maladies de notre fragile intelligence. Nous ne rappelons ce souvenir que parce que lui-même l’a rappelé, et qu’il n’est plus.

Mais quelle est-elle cette solution du problème de la science et de la société, cette solution dont il a dit lui-même : « la grande loi philosophique que j’ai découverte en 1822 ? » C’est la succession constante et indispensable des trois états, primitivement théologique,