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ressembler par des substitutions d’emploi qui le font descendre. C’est par là que la femme se venge, en abaissant l’espèce, et l’espèce est punie du tort de la société.

Il en résulte ce que nous voyons : un peuple quasi-féminin, — des garçons presque filles, des jeunes gens qu’on prendrait pour des femmes, un visage imberbe, des formes rondes, de beaux traits, mais un peu mous, rien de fort ni de résolu ; une beauté incertaine et jamais virile, jusqu’à l’âge où la jeunesse elle-même est effacée par la gravité des années. À l’inverse des Arabes, chez qui la fainéantise est le droit du mâle, ici c’est le mari qui travaille, je veux dire qui manie l’aiguille. Il prépare les laines, il les teint, il fabrique les étoffes, il coud, il fait non-seulement ses propres habits, mais ceux des femmes et des enfans, leurs chaussures avec les siennes, leurs toilettes aussi bien que leurs bijoux. Lui seul a l’art des passementeries et des broderies ; il sait comment assortir les couleurs, comment la soie se croise avec les fils d’or : il a ses métiers, ses dévidoirs, ses écheveaux, ses pelotons, ses bobines, ses ciseaux, tout un petit arsenal d’instrumens qui paraît bizarre entre ses mains, et qui le rend méprisable aux yeux de ses voisins manieurs de sabre. Si la force lui manque, il hérite au moins des contraires de la force : il a l’adresse, l’habileté des doigts, la délicatesse et la grâce. Il est intelligent, souple et docile ; il calcule, et si le commerce ne lui convient qu’à demi, loin de le déclarer indigne, il l’estime. Son activité d’ailleurs n’est jamais bien grande. Aussi indolent à son établi qu’il est insouciant dans sa boutique, aussi peu diligent à coudre qu’il est peu pressé de vendre, il considère le commerce aussi bien que l’industrie comme des passe-temps, et le travail est plutôt fait pour remplir ses loisirs que pour occuper sa vie. À vrai dire, c’est un moyen de se distraire et de se désennuyer du repos.

Les Maures n’aiment pas les chevaux, n’en possèdent guère, et les manient mal. Leur tournure un peu grêle jure avec le lourd équipement des chevaux arabes, car il faut une tenue de cavalier et l’attirail de guerre pour occuper dignement la selle à haut dossier et pour chausser les étriers turcs. Ils ont la sandale de cuir noir des gens qui vont à pied et marchent peu, des demi-bas pendant l’hiver, et jamais de bottes. Un éperon traînant rendrait leur marche impossible. Le soir, on rencontre certains d’entre eux, les plus riches, qui partent pour leurs jardins, mais portés alors par des mules, assis de côté sur une selle large et plate, matelassée comme une litière, et menant leur, tranquille monture à coups de houssine, sans se servir de la bride ni du talon. Leur équitation ne va jamais plus loin. Chose encore plus inconnue des Arabes et plus superflue