Page:Revue des Deux Mondes - 1858 - tome 18.djvu/246

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

est mêlé de nègres, d’émigrans biskris ou mzabites, de Juifs parlant la langue commune et restés toujours les mêmes depuis leur transportation sous Titus et sous Adrien , enfin de quelques Arabes, mais en si petit nombre qu’on peut dire avec certitude qu’il n’y a pas d’Arabes dans Alger. Cette ville n’était au surplus leur capitale et leur citadelle que par fiction : c’était le chef-lieu d’un gouvernement qu’ils n’aimaient pas et le centre administratif d’une administration à laquelle ils obéissaient mal. Ils y tenaient pour l’honneur du croissant, mais nullement par intérêt pour leur dernier pacha. Ils n’avaient jamais lié leur cause à la sienne, et telle était leur indifférence à l’égard de la moderne Carthage qu’ils l’ont laissé tomber sans lui porter secours, sans prévoir qu’ils se perdaient eux-mêmes en l’abandonnant. Ils n’avaient mis là qu’une petite part de leur orgueil, en dépôt sous la garde des Turcs, et comme les Sahariens font pour leurs grains dans des silos étrangers. Leurs vraies destinées étaient ailleurs. Ils se réservaient de les défendre sur leur propre territoire et pied à pied, et cette longue guerre numide, qui finit à peine, a prouvé comment ils entendaient la politique et comment ils pratiquaient la guerre.

Les historiens ont beaucoup écrit sur les Maures. D’où viennent-ils ? qui sont-ils ? À quelle famille orientale les rattacher ? Sont-ils de la race aborigène ? Viennent-ils des Maures d’Espagne refoulés le long des états barbaresques ? Sont-ils, comme on l’a dit encore, les descendans directs d’une invasion arabe antérieure à celle des kalifes ? Y doit-on voir, au contraire, un produit fort mélangé de toutes les invasions, et n’y aurait-il pas dans les veines de ce neuple aux traits charmans, mais indécis, un composé de sang barbare et de sang gréco-romain ? Voilà la moindre partie des hypothèses. La question reste douteuse, et la filiation des Maures est encore à prouver.

Quelle que soit la parenté des Arabes et des Maures, qu’on puisse ou non les rapprocher à leur point d’origine, il est impossible aujourd’hui de les confondre ; eux-mêmes ne veulent pas être confondus. Peut-être n’y a-t-il pas là deux races, mais il y a deux branches, et bien nettement deux familles, qui n’ont en réalité rien de commun que la langue et la religion, qui ne se ressemblent ni par le type, ni par les habitudes, ni par la façon de vivre, ni par le tempérament, ni par le caractère, ni par le costume, et pas plus par les qualités que par les vices, qui ne s’aiment ni ne s’estiment, dont les intérêts mêmes sont opposés, et qui vivraient peut-être en ennemies si nous n’étions pas là, n’ayant plus alors, pour faire amitié contre nous, le lien commun des antipathies et la fraternité des rancunes. L’une est un peuple encore féodal, de campagnards, de voya-