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surcroît, bien impitoyable, pour ne pas craindre d’annoncer l’arrêt fatal à un peuple qui se débat héroïquement contre des difficultés extrêmes et donne chaque jour des preuves nouvelles de vitalité. Or l’Italie n’a-t-elle pas semblé plusieurs fois sur le point de finir, et ne s’est-elle pas relevée avec un étonnant ressort que personne n’aurait cru trouver en elle ? Quoi ! après ce XVIIe siècle italien, si terne et si pâle, où l’esprit et le corps étaient également abaissés, n’est-ce donc rien que cette double renaissance littéraire et politique du XVIIIe siècle et du XIXe ? Alfieri, créateur d’un genre ; Manzoni, régénérateur de la poésie ; Leopardi, le plus grand des Italiens après Dante, sont-ils des poètes de la décadence ? Ces peuples toujours vaincus et toujours prêts à remonter sur la brèche, ne fût-ce que pour jeter en mourant à l’ennemi commun leur dernière malédiction, sont-ils des fils dégénérés ? Non, c’est le découragement, un découragement prématuré, qui trouble la vue à M. Ferrari, et qui lui inspire un système remarquable par d’excellentes parties, par de profondes observations, et fondé sur une érudition de bénédictin, mais dont le terme final était arrêté dans son esprit avant le commencement et le milieu. Il voulait écrire à la dernière page de son livre ce triste mot, emprunté aux annales d’un peuple éteint : Finis Italix, et ne cherchait qu’à mettre l’histoire d’accord avec ses sinistres convictions. Par désespoir patriotique, il est arrivé aux dernières limites du pessimisme, et je ne puis mieux le réfuter qu’en citant ces lignes, que je voudrais pouvoir effacer de son livre : « L’histoire n’est-elle pas la mise en jeu des passions les plus effrénées, des perfidies les plus raffinées, des ambitions les plus gigantesques ? n’est-elle pas une série de scandales ? Ses époques les plus splendides ne sont-elles pas les plus criminelles ? Ne doit-elle pas créer des monstres quand elle s’efforce de créer des géans ? Que si notre morale moderne, si hypocritement difficile, accuse les contemporains de Léon X, il ne faut pas oublier non plus qu’ils ont le droit d’être jugés d’après leur loi, de ne pas être soumis aux codes de Luther ou de Calvin, et surtout le droit d’être soustraits aux tribunaux des nations unitaires et des gouvernemens absolus ?… Tout homme était libre, comme un roi à l’état de nature, et bien des trahisons n’étaient que des actes naturels, tandis que bien des crimes se réduisaient aux proportions de simples coups d’état. » Je ne puis vraiment croire à ce pessimisme, ni le prendre au sérieux. La parole de M. Ferrari est constamment empreinte de cette ironie âpre, mordante, amère, dont on sent la trace dans cette page comme dans bien d’autres. Non, je ne croirai pas « qu’il soit aussi insensé d’attaquer le pape que de le défendre, ni de se faire éclopper par tel roi que de prendre des rhumatismes en faveur de telle république. » Ce sont là des paroles injustes qui trahissent les déceptions d’une âme ulcérée. L’historien des révolutions d’Italie est merveilleusement ingénieux à trouver dans les plus atroces époques du passé la marque du progrès : ne saurait-il donc la trouver encore dans les maux plus tolérables du présent ?


P. Brisset.

V. DE MARS.