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REVUE. — CHRONIQUE.

des tâches impossibles : un seul homme ne saurait, dans un même ouvrage, expliquer avec quelque clarté les lois de l’histoire d’un grand peuple et raconter tous les faits dont il a pu induire ces lois, surtout lorsque ce peuple n’a pas d’histoire générale, et qu’il faut recommencer le récit pour chacune des innombrables villes qui poussent en quelque sorte sur le sol qu’il habite.

En Italie, chaque cité, on pourrait presque dire chaque bourgade, a eu son chroniqueur, quelquefois son historien. M. Ferrari pouvait donc, il devait peut-être renvoyer le lecteur à ces sources locales, sauf à prendre dans les faits racontés par d’autres plusieurs exemples mémorables à l’appui de ses théories. Il a raison de penser que ce qu’il importe de savoir, c’est comment marche l’Italie, âme du monde au moyen âge, comment les autres peuples la suivent, et non pas que Grimoald meurt empoisonné, ou que Théodelinde donne une couronne à Agilulf en le recevant dans son lit. Les Grimoald, les Théodelinde, les Agilulf pullulent dans les villes italiennes, et j’en veux à M. Ferrari, après s’être moqué justement de cette manière d’écrire l’histoire, de nous les montrer tous jusqu’au dernier, ne fût-ce qu’en passant et de profil. Le grand mérite de son ouvrage est dans les clartés nouvelles qu’il projette sur ces mêlées continuelles et mal expliquées des catholiques contre le pape, des impériaux contre l’empereur, des peuples les plus unis en apparence, les plus divisés en réalité, qui veulent des chefs indigènes et ne se lassent point d’appeler l’étranger, qui regardent Rome comme le principe de tous leurs maux, et qui la défendent à outrance contre Luther. Cette philosophie de l’histoire d’Italie est assez nouvelle pour qu’il convienne de la résumer rapidement, malgré les objections que soulèvent les abus de l’esprit de système, et en quelques endroits l’obscurité de l’exposition et de l’expression.

Tout peuple, suivant M. Ferrari, est soumis à une loi unique, invariable, à laquelle il ne peut que par exception se montrer infidèle. Ainsi l’Allemagne a la diète, l’Angleterre le parlement, la France le pouvoir absolu, la Russie le schisme, l’Italie la lutte éternelle du pape et de l’empereur. Je ne veux pas montrer tout ce qu’il y a de contestable dans ces réductions à l’unité ; quelques mois avant l’éclat de Luther, on eût pu dire que le catholicisme était la loi de l’Allemagne. Je rappellerai seulement qu’on ne peut condamner un peuple, comme un homme, à une fixité invariable, sans aboutir au fatalisme. Il y a un moyen sûr de reconnaître si les lois que la philosophie assigne à l’histoire peuvent être vraies, c’est de s’assurer qu’elles ne détruisent pas la liberté. De même que l’homme est susceptible de se modifier sous l’influence des passions ou en profitant des leçons de l’expérience, les peuples ne sont point privés du triste bénéfice de s’instruire par leurs propres malheurs, quoiqu’il soit vrai de dire que l’identité d’un être collectif est moins complète que celle de l’individu, et que, dans une nation, l’expérience des vieillards s’éteint trop souvent avec eux, loin de profiter aux nouveau-venus.

Pour l’Italie en particulier, la loi de M. Ferrari ne se vérifie qu’imparfaitement. Il reconnaît lui-même l’impossibilité de retrouver l’antagonisme du pape et de l’empereur après le règne de Charles-Quint, et plutôt que de renoncer à son système, il préfère sonner le glas funèbre de l’Italie. Que l’Italie