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eussent été adressés au pouvoir politique, la liberté religieuse était tout aussi bien obtenue, mais avec elle bien d’autres libertés, et surtout l’opposition du temps n’aurait pas contracté ce caractère éminemment irréligieux qui a compromis sa cause et contribué à ses revers. Plus tard, il est vrai, la politique a eu son tour. La philosophie du xviiie siècle, dont M. Buckle trace une histoire, sinon complète, du moins fort intéressante, devait bien finir par là. L’esprit d’examen et de réforme éclata tout à coup contre l’ancien régime, et pénétra jusque dans la sphère du gouvernement. Les causes de la révolution française, celles surtout qui sont de l’ordre intellectuel, notamment la crise glorieuse et féconde de toutes les sciences à la fin du dernier siècle, sont exposées ici avec une intelligence et un développement qui de cette partie du livre feraient presque un livre entier digne d’être mis sous les yeux des lecteurs français. Ainsi finit un volume qui n’est lui-même qu’une introduction non terminée.


III.

Au premier coup d’œil jeté sur cet ouvrage, on aperçoit les rapports qui unissent l’esprit qui l’anime à l’esprit d’une doctrine française jusqu’à ce jour négligée et presque dédaignée par la France. M. Buckle ne se défendra pas de devoir quelque chose à M. Auguste Comte, car il ne ménage pas l’éloge à la philosophie du positivisme. En disant qu’il se sépare d’elle sous beaucoup de rapports, il proclame le mérite extraordinaire du livre où elle est enseignée, et il le cite plus d’une fois comme une autorité. Et cependant nous pencherions à croire qu’il lui doit peu de reconnaissance. Rien ne nous prouve qu’il n’eût pas trouvé de lui-même ce qu’il lui emprunte ; s’il n’eût accepté volontairement le joug de quelques idées de son prédécesseur, son ouvrage n’y aurait certes rien perdu en sûreté ni en largeur de vues : il vaudrait mieux, si l’auteur eût été encore plus lui-même. Il se peut que la lecture du livre a profond, mais mal compris, » de M.Comte ait donné l’éveil à son esprit. La pensée d’un autre est toujours pour quelque chose même dans la pensée la plus originale ; mais nous voudrions qu’il eût donné plus de preuves encore d’indépendance dans ses interprétations. Il se serait épargné certaines opinions extrêmes, exclusives, qui l’ont fait ranger dans une secte et traiter en adversaire par des gens qui pensent au fond comme lui.

Loin de nous l’idée de manquer de respect à la mémoire d’un savant et d’un penseur recommandable par la sincérité et la persistance de ses convictions et de ses travaux, quand il ne le serait pas