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REVUE. — CHRONIQUE.

phéties fâcheuses qui ressemblent à des vœux malveillans ? Les peuples chrétiens et libres ne tombent point, et nos sociétés européennes sont trop peu avancées encore dans le travail de réorganisation où elles sont lancées pour qu’il soit raisonnable de croire qu’aucune d’elles soit à la veille de terminer sa tâche dans l’œuvre de la civilisation générale. Le moment est bien choisi d’ailleurs pour signaler le déclin de l’Angleterre, lorsqu’à aucune époque peut-être cette grande nation n’a montré, nous ne dirons pas de plus puissantes ressources matérielles, mais plus de vertu et d’activité politique. Allez entendre lord John Russell et M. Gladstone initiant à Liverpool des assemblées populaires à l’étude des questions sociales ; allez vous mêler à cette foule qui applaudissait hier au discours de M. Bright sur la réforme électorale, et osez répéter ensuite que tant de zèle, d’amour du bien public et de la justice, un déploiement ausst vigoureux des facultés de l’intelligence, une si belle santé de pensée et de langage, sont les signes de la caducité d’un peuple ! D’où vient cette inquiète ignorance qui nous pousse à dénoncer les vices imaginaires des autres et à dissimuler nos propres infirmités ? N’y aurait-il pas plus d’orgueil et de profit à nous occuper surtout de nous-mêmes, et à nous exhorter avec une consciencieuse sévérité à amender nos défauts et à accomplir les progrès auxquels nous sommes appelés ? e. forcade.


REVUE MUSICALE.

La saison musicale s’engage lentement, et a bien de la peine à prendre un caractère. Le temps exceptionnel dont nous jouissons cette année, qui restera une année fameuse dans les fastes des astronomes et des vignerons, retient à la campagne une grande partie de ce qu’on est convenu d’appeler lasociété. Paris cependant ne s’en porte pas plus mal ; il est rempli d’étrangers, surtout de Russes, d’Espagnols, de Brésiliens et d’Américains de toutes les couleurs. Ce sont là les plus grands consommateurs des opéras de M. Verdi, comme on a pu le voir par la liste des abonnés au Théâtre-Italien que l’administration a fait publier. Dans cette curieuse statistique, qui pourrait devenir un élément intéressant de la science économique appliquée aux matières de goût, on peut s’assurer que Paris attire dans son immense tourbillon un nombre d’intelligences diversement et très inégalement développées, qui doivent finir par exercer une influence appréciable sur la qualité de notre civilisation morale. Il est bien certain par exemple que le public qui fréquente aujourd’hui le Théâtre-Italien ne ressemble pas à cette société d’élite qui, sous la restauration et le gouvernement de juillet, venait applaudir des chefs-d’œuvre immortels exécutés par des virtuoses qui étaient nés sur le soi même ove il bel si risuona, et qui avaient dans la voix et dans le style l’accent du terroir et la tradition des maîtres dont ils interprétaient la pensée. Le public dont le goût s’était formé sous cette tradition entendait à demi-