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le monde gémit aujourd’hui. Si le pape n’eût été qu’un souverain temporel, un organe de la loi humaine, il n’eût pu songer un instant à se prononcer sur la validité du baptême d’un enfant par une servante, et à donner à une interprétation du dogme une conséquence actuelle aussi révoltante que l’enlèvement d’un enfant à son père. Si le pape n’eût été qu’un pontife, il eût pu donner l’interprétation qu’il eût voulue au dogme religieux engagé dans le baptême du jeune Israélite ; mais sa décision ne fût point sortie de la sphère de la conscience. Les droits naturels et la puissance du père eussent été protégés par la loi et la magistrature civile contre toute entreprise de cëorcition matérielle tentée au nom d’une opinion religieuse. « Reléguée aux choses de la terre, comme le disait Royer-Collard dans son discours immortel sur la loi du sacrilège, la loi humaine ne participe point aux croyances religieuses ; dans sa capacité temporelle, elle ne les connaît ni ne les comprend ; au-delà des intérêts de cette vie, elle est frappée d’ignorance et d’impuissance. Comme la religion n’est pas de ce monde, la loi humaine n’est pas du monde invisible ; ces deux mondes qui se touchent ne sauraient jamais se confondre, le tombeau est leur limite. » Cette confusion des deux autorités que Royer-Collard dénonçait comme absurde et impie, cette confusion qui offense aujourd’hui la conscience des peuples éclairés, elle n’existe dans notre Europe occidentale qu’à Rome. « Est-ce qu’on oserait prétendre que les états ont le droit, entre les diverses religions qui se professent sur la terre, de décider laquelle est la vraie ? Ce serait un blasphème. » Ce blasphème, pour employer le langage énergique du grand orateur, jaillit invinciblement de l’union de l’autorité spirituelle et du pouvoir temporel dans le même homme ; il est éternellement proféré par la théocratie. Le pape, chef spirituel de l’église, décide quelle est la vraie religion, et comment pourrait-il oublier comme souverain les décisions qui obligent sa conscience comme pontife ? La conclusion à tirer de cette contradiction terrible, c’est le divorce inévitable de l’autorité spirituelle et du pouvoir temporel. Par l’enlèvement du jeune Juif de Bologne, la cour de Rome n’a pas seulement commis la faute de créer un antagonisme redoutable entre la morale naturelle, civile, humaine, et la morale catholique ; elle a hâté, dans la conscience de l’Europe, la solution du problème que soulève la présence d’une théocratie au centre de l’Italie.

La limite qui sépare absolument le domaine spirituel du domaine civil et politique, et qui s’oppose à la confusion des deux autorités, n’interdit point leur alliance. Les événemens contemporains ont plus d’une fois appris à l’Europe la réserve que les états doivent apporter dans cette alliance. L’Autriche nous présente sous ce rapport l’expérience la plus récente et la plus instructive. Elle fondait de grandes espérances sur le concordat rétrograde qu’elle a conclu avec Rome. Elle croyait que ce traité augmenterait en face du Piémont, si injustement maltraité par la cour romaine, son influence morale en Italie. Nous le demandons : à qui ce concordat a-t-il profité davantage au cœur des populations italiennes ? N’est-ce pas au Piémont ? Nous ne savons si l’archiduc Maximilien, placé à la tête du gouvernement de la Lombardie, aurait pu, avec ses bonnes intentions et le concours que lui prête une princesse jeune, aimée et populaire, triompher des antipathies des populations