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de la presse anglaise tracé par M. Sidney Herbert : le contraste est trop cruel pour notre amour-propre national ; mais croit-on qu’il n’y ait point là aussi un avertissement pour nos intérêts ? La presse est le plus puissant outil de gouvernement dans le mécanisme des sociétés modernes. Les journaux sont appelés à faire et à alimenter sans cesse l’éducation économique et politique de tout le monde. Croit-on qu’il soit indifférent au développement intellectuel de la France, à ses intérêts économiques, à sa prospérité, à sa gloire, que sa presse politique soit indéfiniment maintenue dans une situation où elle s’énerve ?

Certes c’est bien des adversaires de la liberté que l’on a le droit de dire qu’ils ne savent pas ce qu’ils font. On se plaint souvent en France des violences des partis et des sentimens haineux qui les animent les uns contre les autres. On se sert du prétexte des passions politiques pour proscrire la liberté. Ce qui se passe en Angleterre démontre l’inconséquence de notre conduite. Les inimitiés politiques ont été portées aussi loin que possible en Angleterre : aujourd’hui l’on peut dire qu’elles y sont inconnues. Ce grand changement s’est accompli de nos jours, sous nos yeux. En même temps que nous avons vu ce merveilleux effet, nous avons pu suivre à l’œuvre la cause qui l’a produit. Chaque développement nouveau donné à la liberté a été accompagné d’un progrès dans la pacification des esprits et l’adoucissement des mœurs politiques. L’émancipation des catholiques, la réforme parlementaire, l’abolition des lois céréales, voilà les grands actes de libéralisme et de justice qui ont amené cette généreuse extinction des haines politiques. L’harmonie qui règne entre les grands agens de la vie politique anglaise est établie entre les divers partis et existe au fond entre les principaux chefs des partis différens. La vie politique n’entretient plus ces irritations invétérées qu’attisent les dénis obstinés de justice. Les partis et les personnes n’échangent plus la haine et le mépris ; leurs luttes ne sont plus que le jeu d’une émulation qui permet à des rivaux de talent et de patriotisme de s’estimer en se combattant. Nous avons la conviction profonde que les progrès du libéralisme produiraient les mêmes résultats dans notre pays. La générosité enfante la générosité. Pour notre part, après les vicissitudes politiques que la France, les partis et les hommes ont eu à traverser dans notre temps, devant celles qui les attendent encore, lorsque nous nous souvenons du passé et que nous songeons à l’avenir, le sentiment qui nous anime envers les hommes publics, c’est l’indulgence, quand nous ne croyons pas pouvoir donner notre sympathie ; mais la franche liberté pourra seule calmer les irritations concentrées qui ont survécu à nos discordes.

Nous n’avons pas besoin d’exprimer une opinion sur le procès intenté à M. de Montalembert et à un recueil périodique à l’occasion d’un article de l’éloquent orateur sur un épisode de la dernière session du parlement anglais : nos sentimens sur les procès de presse ne seront une énigme pour personne ; mais tout le monde, nous l’espérons, nous permettra de dire que les procès de presse, malgré leurs inconvéniens, nous paraissent préférables, et pour la dignité de la presse et pour la responsabilité du gouvernement, au système des avertissemens administratifs. Si donc le procès actuel, — qu’on nous pardonne cette supposition, — pouvait être considéré comme