Page:Revue des Deux Mondes - 1858 - tome 18.djvu/20

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

cidé M. Buckle à écrire l’histoire de la civilisation de l’Angleterre, et non d’un autre pays. En Angleterre, tout plus qu’ailleurs est indigène. Les États-Unis, l’Allemagne, la France même n’offrent point dans les élémens de leur civilisation un caractère de nationalité aussi marqué. Ces élémens en outre se sont plus librement qu’ailleurs développés sous le ciel des îles britanniques. Ce qu’on peut appeler l’esprit de protection, cette tutelle exercée par l’autorité sur la société, a toujours joué un plus grand rôle sur le continent qu’en Angleterre, et la révolution française elle-même s’en est fortement ressentie. Chez les nations plus abandonnées à ellesmêmes, le gouvernement aussi bien que la littérature et la religion doivent être des effets et non des causes. Un peuple ignorant et grossier penche vers une religion pleine de prodiges, et dont les croyances accablent sa raison. Un peuple qui pense par lui-même sait mieux à quelles conditions l’esprit doit accorder ou refuser sa foi, il veut une religion plus simple et dont l’intelligence s’accommode mieux, car l’amélioration religieuse ne précède pas, elle suit le progrès des connaissances humaines. Lorsque le contraire arrive, l’ordre naturel est interverti. C’est ainsi que, dans les idées de M. Buckle, les Français ont une religion qui ne les vaut pas, tandis que la religion de l’Écosse vaut mieux que l’Écosse. Je doute que ce jugement soit ratifié par l’Écosse et par la France.

De même la littérature ne devrait être que la rédaction des connaissances d’une nation : c’est la forme de son esprit ; mais en littérature comme en religion, il peut arriver que les individus soient fort en avant des masses, et qu’une distance considérable sépare les classes spéculatives des classes laborieuses. Il en était ainsi dans l’antiquité ; il en est ainsi en Allemagne. La littérature alors devient un but au lieu d’être un moyen ; elle réclame appui et protection, et sacrifie son indépendance à sa prospérité ; elle fait alliance avec l’autorité, et contribue à prolonger la stagnation des esprits au lieu d’accélérer leur marche ; elle aurait pu s’éterniser telle qu’elle était au moyen âge, sans devenir jamais un principe de perfectionnement pour la société tout entière. Celle-ci ne s’est ouvert la voie du progrès qu’au prix d’une révolution dans l’esprit humain.

Enfin, s’il était vrai que la civilisation dût beaucoup à l’influence du gouvernement, il faudrait que les gouvernemens eussent été généralement plus éclairés que les sociétés ; mais ils sont composés d’hommes du même pays que les peuples qu’ils régissent ; ils ont été élevés dans les mêmes circonstances, soumis aux mêmes traditions. D’où vient donc qu’ils seraient supérieurs ? Nulle amélioration politique, nulle grande réforme n’est émanée de l’initiative