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part, qu’elle s’était mise sans perdre un instant à notre recherche, et que le 11 au soir trois de ses vaisseaux, le Tonnant, le Bulwark et le Colossus, venaient se joindre au Pompée, au Poitiers et au Tremendous. Une résolution plus hardie eut donc pu nous entraîner dans un combat inégal, et c’est ce que, sous aucun prétexte, n’avait autorisé le ministre.

Notre amiral avait fait plusieurs croisières heureuses dans sa vie ; il avait acquis ainsi la réputation, non pas d’un grand homme de guerre, mais d’un homme de mer fort habile. Nul mieux que lui, disait-on, ne savait se rendre invisible. Je faisais peu de cas de ses talens, mais c’était peut-être défaut de sympathie de ma part. Toujours est-il que pour entrer à Brest il prit un moyen fort adroit, dont personne, ce semble, ne s’était avisé avant lui. Il alla, dès qu’il fut délivré de la poursuite du Poitiers et du Tremendous, s’établir en croisière sur le parallèle des cinq grosses têtes. Ces prétendues roches, placées à l’ouvert du golfe de Gascogne, étaient autrefois la terreur des navigateurs. On les a depuis quelques années effacées de nos cartes, car aucun document certain n’en a pu prouver l’existence, et il est fort probable que le premier capitaine qui les a signalées aura pris quelque glace flottante ou quelque carcasse de navire abandonné pour des roches ; mais en 1812 il n’y avait pas de marin qui n’évitât soigneusement de se mettre en position de les rencontrer. Il en résulta que nous pûmes attendre fort tranquillement dans ces parages qu’un coup de vent de sud-ouest éloignât des côtes de Bretagne les vaisseaux qui sans doute nous y attendaient et nous permît de faire route vers le port. Cependant, si nous adoptâmes le meilleur parti pour notre sécurité, nous nous privâmes aussi de l’avantage de rendre notre sortie fructueuse. Nous ne capturâmes que quelques navires de commerce de peu de valeur que nous détruisîmes à l’instant.

Pendant dix ou douze jours, l’escadre resta à la cape sous la misaine, avec de gros vents de nord-est et une mer très dure. Les vents passèrent enfin au sud-ouest grand frais. Nous en profitâmes pour nous diriger sur le port de Brest. Le temps était fort brumeux : depuis plusieurs jours, nous n’avions pu obtenir de latitude ; nous n’avions pour nous guider dans notre atterrage d’autres indications que celles de la sonde, indications toujours fort incertaines. Toutefois la diminution du fond et le changement de couleur de l’eau témoignaient que nous étions peu éloignés des côtes de Bretagne. En effet, le 29 mars 1812, vers les dix heures du matin, celui de nos vaisseaux qui marchait en tête signala devant nous les rochers de Penmarch. Peu après, nous aperçûmes nous-mêmes du pont du Marengo toutes les plages qui forment le fond de la baie d’Audierne. Dans cette position, nous pouvions craindre que, si le vent