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La plupart des vaisseaux coupèrent leur câble et allèrent s’échouer où le vent les porta. Le lendemain, une division de frégates et de bâtimens légers, aux ordres de lord Cochrane, entrait dans la rade de l’île d’Aix, et détruisait une partie des bâtimens, qui s’étaient mis dans l’impossibilité de se défendre. Un esprit de vertige semblait s’être emparé, dans cette affreuse nuit et dans les journées qui suivirent, des plus braves capitaines. Des vaisseaux que l’ennemi n’avait pas même attaqués furent abandonnés par leurs équipages, et des hommes qu’avaient illustrés maints combats héroïques partagèrent la faiblesse commune. La mollesse de lord Gambier, le courage et le sang-froid de quelques-uns de nos officiers, préservèrent seuls l’escadre française d’une ruine totale. Nous ne perdîmes que quatre vaisseaux et une frégate. Les Anglais avaient dépensé pour cette expédition plus de 16 millions : le résultat obtenu était hors de proportion avec les dépenses; mais le dommage moral causé à notre marine fut bien autrement sérieux que le tort matériel. Au moment où cette marine aspirait à renaître, où elle pouvait se flatter de grandir, elle s’étonna de ne plus trouver de sécurité sur les rades mêmes où elle avait pendant seize ans bravé les efforts de l’ennemi. La confiance de nos équipages, que tant de revers n’avaient pas détruite, se sentit ébranlée, et pour la première fois peut-être depuis 1793, on les entendit vanter l’audace de nos ennemis. Ce fut là, ainsi que l’écrivait un des officiers qui assistèrent au désastre du 11 avril 1809, le plus grand tort que nous firent les Anglais. L’empereur ne s’y trompa point. Il voulut laisser au temps le soin de détruire cette fâcheuse impression. A dater de cette époque, il limita ses plans, renferma ses escadres dans les ports, et demanda au blocus continental la ruine de l’Angleterre. De leur côté, les escadres britanniques ne laissèrent plus un port de la Méditerranée ou de l’Océan qui ne fût observé. Leurs divisions s’échelonnèrent sur tout notre littoral, de Dunkerque à Bayonne, de l’Espagne à la Sicile. Le port des Sables eut l’honneur de partager avec la rade de l’île d’Aix la surveillance de leurs croisières. Dans le nouveau système qu’il avait adopté, l’empereur ne demandait point à son ministre de la marine d’éclatans succès, mais il ne voulait pas de revers. L’amiral Decrès ne se soucia point d’exposer nos deux frégates à être interceptées dans leur trajet du port des Sables à Rochefort. Il jugea plus prudent de les vendre au commerce. Ainsi furent perdus, pour le service de la flotte, ces deux navires, si énergiquement défendus contre l’ennemi et sauvés de la tempête au prix de tant d’efforts.