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tillerie, des vivres et de tous les objets d’armement. Pendant cette opération, les vents, comme je l’avais prévu, passèrent au sud-ouest. Les frégates chassèrent et s’échouèrent de nouveau. Le mauvais temps heureusement dura peu; d’incroyables efforts parvinrent à remettre une seconde fois la Créole et la Revanche à flot. Le cinquième jour après le combat, les deux frégates, entièrement allégées, entrèrent dans le port des Sables. La Concorde seule ne se releva pas de ce second échouage : c’était un vieux bâtiment dont la coque n’offrait pas autant de résistance que celle de la Créole et de la Revanche. A force de talonner sur le sable et les roches, elle détacha la partie inférieure de sa carène, et bien que de loin elle parût encore flotter, il n’y avait plus d’attachés à ses ancres que les ponts, séparés de la cale qui jadis les portait.

Cette frégate isolée, dont ils ne soupçonnaient pas la ruine, tenta la convoitise des Anglais. La frégate de sa majesté britannique l’Alcmène vint mouiller à une lieue de l’entrée du port des Sables. A la nuit close, elle détacha un canot vers la Concorde pour reconnaître de plus près la position. Nous étions heureusement sur nos gardes : quatre canots armés en guerre se mirent à la poursuite de l’embarcation anglaise. L’officier qui les commandait manœuvra avec habileté. Il coupa la retraite à l’ennemi et s’empara de son canot, monté par quinze hommes et un midshipman. Parmi ces prisonniers se trouvait un mousse français âgé de quatorze ans ; nous interrogeâmes ce mousse, et nos aspirans firent de leur côté causer le midshipman. Nous apprîmes ainsi que l’escadre anglaise, en croisière devant les pertuis, venait d’être réduite de onze vaisseaux à neuf, par suite du renvoi en Angleterre du Defiance, escorté par le Triumph; mais des renforts considérables étaient attendus, et une grande quantité de brûlots devaient, d’un jour à l’autre, venir se joindre à la flotte. Tout annonçait l’intention de tenter un grand effort pour détruire les onze vaisseaux et les quatre frégates que nous avions réunis sur la rade de l’île d’Aix.

L’importance de ces nouvelles me détermina à expédier immédiatement une estafette au préfet maritime de Rochefort pour qu’il en avisât l’amiral qui commandait en chef notre escadre. Je savais que la rade de l’île d’Aix était sans défense contre l’attaque combinée d’une flotte de guerre et d’une flottille de brûlots. Il n’y avait qu’un moyen infaillible de parer à ce double danger, c’était de remonter la Charente. L’amiral français pensa qu’il lui suffirait de se couvrir par une estacade : on sait quelles furent les conséquences de cette fâcheuse décision. Le 11 avril 1809, par une nuit des plus noires, le vent de nord-ouest soufflant avec violence, la marée conspirant avec le vent, les premiers brûlots anglais rompirent l’estacade. La panique se mit dans l’escadre française.