Page:Revue des Deux Mondes - 1858 - tome 18.djvu/180

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

arriver vent arrière; mais bientôt l’Amelia s’aperçut que la Concorde, qui marchait moins bien que ses conserves, se trouvait séparée du reste de la division par une assez grande distance. Elle revint brusquement au vent et gouverna de manière à lui couper la route. Sans doute, lorsqu’il exécuta cette manœuvre hardie, le capitaine de l’Amelia pensait que, pressés comme nous l’étions par une division de vaisseaux, nous continuerions notre marche sans intervenir. La Concorde était, comme la Revanche, commandée par un des plus braves capitaines de notre marine. Loin de fuir le combat auquel on la provoquait, elle avait, semblable à un athlète qui dépose ses vêtemens sur l’arène, cargué ses basses voiles et ses perroquets pour être mieux en mesure de soutenir la lutte. Quelques minutes encore, et c’était une frégate perdue. Une ou deux volées, en hachant son gréement, allaient la livrer aux vaisseaux, qui déjà grossissaient à vue d’œil. Pour ne pas compromettre toute la division à la fois, je hélai à la Revanche de continuer sa route, et me portai seul avec la Créole à la rencontre de la frégate anglaise. Pardonnera-t-on ce petit mouvement d’orgueil à un homme qu’on n’a jamais accusé d’une suffisance excessive? Le moment où nous virâmes de bord pour venir en aide à la Concorde fut un beau moment dans ma vie. Les braves officiers de la Créole, j’en suis sûr, s’en souviennent encore. A notre approche, la frégate anglaise laissa de nouveau arriver, et, hissant ses bonnettes, se mit bientôt hors de portée de canon. Cependant les vaisseaux de l’amiral Stopford approchaient rapidement. Je me décidai à aller prendre le mouillage des Sables-d’Olonne, mouillage dangereux, semé de hauts-fonds, sans abri contre les vents du large, et où je pensais que l’ennemi hésiterait dans cette saison à nous poursuivre.

Vers dix heures du matin, nos frégates donnèrent dans la passe étroite que suivent les caboteurs. Les vaisseaux anglais continuaient de longer la côte. Nous avions à peine jeté l’ancre à quatre cents mètres environ de terre, et rectifié à la hâte notre ligne d’embossage, que nous vîmes l’ennemi s’engager hardiment entre les sables de la côte et les plateaux de roche que nous avions franchis. Les frégates l’Amelia et la Naïad s’arrêtèrent en dehors de la portée du canon, mais les vaisseaux s’avancèrent beaupré sur poupe, formés en ligne de bataille. Le Defiance, qui marchait en tête, mit sans hésiter le cap sur la Créole, au grand mât de laquelle il voyait flotter le guidon de commandement. Je crus un instant que ce vaisseau avait l’intention de nous enlever à l’abordage. Le feu des trois frégates, ou une brusque diminution du fond, le fit renoncer à ce projet. Il vint au vent en carguant ses huniers, et mouilla par le bossoir de tribord de la Créole à portée de pistolet. L’amiral Stopford (trente ans plus tard j’ai appris ces détails de sa bouche) n’approuvait pas