Page:Revue des Deux Mondes - 1858 - tome 18.djvu/179

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

modore Beresford, au danger qui la menaçait. La brise cependant n’avait pas tardé à tomber. De tous les bâtimens mouillés sur la rade de Lorient, les trois frégates que je commandais furent les seules qui purent prendre la mer. Le 23 février, à neuf heures du matin, j’étais en dehors des passes, et je faisais route pour la rade de l’île d’Aix, où l’empereur avait voulu rassembler de tous les points du golfe de Gascogne une masse de forces assez imposantes pour se frayer aisément un passage jusqu’aux mers du Brésil et des Antilles. L’escadre de Brest avait disparu. Au moment où je donnais dans le canal de Belle-Isle, deux bâtimens anglais, cachés dans la baie de Quiberon, mirent sous voiles. L’un d’eux, le Dotherel, brick de dix-huit canons, se plaça dans les eaux de ma division et se tint à portée de l’observer. En même temps le sémaphore de Belle-Isle, interrogé sur la position de l’ennemi, me signalait quatre vaisseaux et une frégate se dirigeant vers l’entrée de Lorient. C’était la division du Commodore Beresford qui venait reprendre son poste de blocus. Le Commodore n’hésita point à laisser nos frégates continuer leur route pour aller s’opposer à la sortie des forces plus importantes qu’il avait mission de garder. Il se contenta de détacher sur nos traces la frégate l’Amelia.

La nuit fut très belle, mais fort obscure. Les frégates françaises se tinrent à portée de voix l’une de l’autre, en branle-bas de combat, masquant leurs feux et s’attendant à chaque instant à voir apparaître quelques-uns des croiseurs que les mouvemens de notre escadre avaient dispersés dans toute l’étendue du golfe. L’Amelia et le Dotherel avaient sur nous un grand avantage de marche, car nous étions chargés outre mesure des approvisionnemens nécessaires à une longue campagne. Malgré l’obscurité, ces deux bâtimens ne nous perdirent pas de vue. Au point du jour, nous avions franchi le canal de l’île d’Yeu; nous distinguions déjà la tour de la Baleine, lorsque les vents changèrent et soufflèrent du sud-est, c’est- à-dire du point même où nous voulions nous rendre. Dans cette direction, amenées vers nous par la brise, se montraient quatre voiles suspectes : l’une de ces voiles était la frégate la Naïad, qui, plus rapprochée de nous, venait de se couvrir de signaux; les trois autres appartenaient à l’escadre de l’amiral Stopford, chassée pendant la nuit précédente de l’entrée du Pertuis-d’Antioche. Je restai quelque temps en suspens sur le parti que je devais prendre. Je ne savais encore si j’avais devant moi une partie de l’escadre de Brest ou des bâtimens ennemis; mais bientôt le doute ne fut plus possible. Je fis signal à ma division de virer de bord, et je pris la bordée du nord-est. Cette manœuvre conduisit nos frégates à portée de canon des deux croiseurs qui nous avaient observés toute la nuit. Pour éviter de tomber sous notre volée, ces bâtimens durent laisser