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dant de cent chevaux par Nana-Farnéwiz, n’avait abandonné celui-ci qu’à l’époque de sa fuite pour entrer dans l’armée de Dowlat-Sindyah. Ce jeune prince, sachant que Soukaram possédait une fille d’une rare beauté, lui prodiguait les plus grands égards; mais, tout puissant qu’il était, le descendant d’un petit chef de village, né dans une humble caste, ne pouvait obtenir en mariage la fille d’un chef de clan, fier de sa noblesse. Nana-Farnéwiz et Badji-Rao s’entendirent pour vaincre les scrupules de Soukaram-Ghatgay. Celui-ci consentit à être le beau-père de Dowlat-Sindyah, à la condition de devenir le premier ministre de son gendre et de toucher une forte somme d’argent. Dès lors le plus puissant chef de la confédération mahratte passa du côté de Nana-Farnéwiz et de Badji-Rao, qui exigèrent à leur tour l’éloignement du conseiller dont ils avaient à se plaindre. Balloba-Tantya, dupe de toute cette intrigue, fut arrêté par son propre souverain; Pureshram-Bhow et Tchimna-Dji-Âppa[1], qui avaient été un instant, l’un ministre et l’autre peshwa, prirent la fuite pour se soustraire, eux aussi, à un emprisonnement.

Au mois de décembre 1796, Badji-Rao reçut l’investiture des fonctions de peshwa. Pour la seconde "fois, la paix paraissait conclue, et tout rentrait dans l’ordre après des péripéties qui auraient pu amener de grands malheurs. Il y a lieu même d’être surpris que cette double révolution n’ait pas causé des catastrophes dans un pays où tant de personnages importans intervenaient dans les affaires publiques et se mouvaient en tous sens avec des armées assez mal disciplinées. Aucune rupture ouverte n’avait eu lieu entre les membres de cette féodalité guerrière, et l’ordre public n’avait point été sérieusement troublé. Malheureusement à cette époque mourait le vieux et respectable Touka-Dji-Holkar, dernier représentant de la fidélité et du désintéressement. Dowlat-Rao-Sindyah, arrivé trop jeune au pouvoir pour ne pas être tenté d’en abuser, se laissait aller à ses caprices. Bientôt la ville de Pounah fut le théâtre de violences et de crimes odieux commis par Soukaram-Ghatgay au nom de Sindyah, dont il était le beau-père et le ministre. La faute doit en retomber en grande partie sur le peshwa et sur Nana-Farnéwiz, coupables d’avoir fait entrer cet homme sanguinaire dans la famille la plus considérable de la confédération. Ils avaient cherché à satisfaire leur propre ambition en aidant à la conclusion du mariage de Sindyah avec la fille de Soukaram; mais cette funeste alliance ne devait être en réalité qu’une nouvelle source de maux pour eux et pour leur pays !


THEODORE PAVIE.

  1. Celui-ci, après avoir subi une pénitence en expiation de son usurpation forcée, fut appelé par son frère Badji-Rao au gouvernement de la province de Gouzerate.