Page:Revue des Deux Mondes - 1858 - tome 18.djvu/172

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

dassarah[1], lui rendre leurs devoirs, il consentit à se montrer en public, inspecta les vieilles bandes qui avaient répandu la gloire du nom mahratte dans tout l’Hindostan, et distribua aux brahmanes les aumônes et les présens d’usage. On eût dit que le jeune peshwa reprenait goût à la vie en exerçant ce simulacre de pouvoir, et que son esprit, glacé par la douleur, se réchauffait aux rayons de cette pompe; mais la terrible figure de Nana-Farnéwiz en colère le poursuivait toujours comme un fantôme. Après les cérémonies, il retomba dans sa sombre mélancolie, et quelques jours plus tard le bruit se répandit que Madhou-Naraïn, dans un accès de désespoir, s’était laissé choir du haut de la terrasse de son palais. Quand on le releva, il respirait encore : son œil s’ouvrit, il jeta un regard mourant sur les hautes montagnes où les aigles nichent en liberté, et expira sans se plaindre. Il était mort à la manière des brahmanes, qui se vengent d’une insulte en se tuant eux-mêmes.

Avant de mourir, Madhou-Naraïn avait dicté une requête dans laquelle il désignait pour son successeur Badji-Rao, son cousin, celui-là même avec qui il avait conspiré contre l’injuste oppression de Nana-Farnéwiz. Le régent, qui avait tout à redouter de Badji-Rao, supprima la requête dressée par le jeune peshwa sur son lit de mort; puis il réussit à s’assurer du concours des principaux chefs mahrattes. Raghou-Dji-Bhounslay de Nagpour, le jeune Dowlat-Rao-Sindyah et le vieux Touka-Dji-Holkar promirent tout aussitôt de l’aider à repousser les prétentions de Badji-Rao. Son projet était de laisser vacant l’office de peshwa jusqu’à ce que la veuve de Madhou-Naraïn, à peine sortie de l’enfance, fût en âge d’adopter un fils. Ce plan, quelque bizarre qu’il paraisse, avait des chances d’être accepté par la nation mahratte et par les principaux chefs de la confédération; mais Badji-Rao, toujours enfermé dans une citadelle, avait été averti de ce qui se tramait contre lui. Son premier soin fut de nouer des relations avec Dowlat-Rao-Sindyah, qui promit secrètement de l’appuyer moyennant une augmentation de territoire. Nana-Farnéwiz, déjoué dans ses projets, changea habilement de manœuvre. Craignant que Badji-Rao ne sortît triomphant de sa prison sous la protection des troupes de Sindyah, il lui en fit ouvrir les portes par le chef de sa propre armée, et lui offrit de partager à l’amiable le pouvoir qu’il n’était pas de force à lui disputer. Nana-Farnéwiz et Badji-Rao eurent à Pounah une entrevue dans laquelle ils jurèrent d’oublier leurs inimitiés passées pour le plus grand bien de l’état.

La paix était donc conclue, et elle eût été peut-être de longue

  1. Elle avait lieu à Pounah en octobre; après les cérémonies religieuses et militaires, les chefs assemblés avaient coutume de délibérer sur la prochaine campagne et d’arrêter les plans des invasions à entreprendre.