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où sans doute elle ne surprit personne. Néanmoins Madha-Dji affecta de se croire menacé par les intrigues de Nana-Farnéwiz, et il s’en servit comme d’un prétexte pour faire arriver auprès de Pounah les brigades du général Perron, l’un de ses plus solides lieutenans. De son côté, Nana-Farnéwiz appela des troupes pour mettre la personne du jeune peshwa, dont il était le régent, à l’abri d’une surprise. Le rusé brahmane employait toutes les ressources de son esprit à éclairer son pupille Madhou-Naraïn sur ses véritables intérêts; il excitait aussi la jalousie des chefs mahrattes du midi contre Sindyah. Une guerre civile paraissait imminente, lorsque celui qui donnait tant d’ombrage au gouvernement de Pounah et causait aux Anglais de sérieuses inquiétudes mourut d’un accès de fièvre à l’âge de cinquante-deux ans. Madha-Dji ne laissait pas de fils; il désigna pour son successeur un de ses petits-neveux qu’il avait adopté, et qui fut reconnu sans opposition sérieuse par les grands et par l’armée sous le nom de Dowlat-Rao.

Le successeur de Madha-Dji-Sindyah entrait à peine dans sa quinzième année. Il recevait en héritage des territoires assez étendus pour mériter le nom de royaume, une armée immense, bien aguerrie et parfaitement disciplinée. Le corps principal, aux ordres du commandant de Boigne, — et que Madha-Dji affectait d’appeler l’armée impériale, comme si elle eût été moins à lui qu’au Grand-Mogol, — se composait de dix-huit mille hommes d’infanterie régulière, de six mille irréguliers, Mogols et Rohillas, armés de fusils à baïonnette, de deux mille chevaux et de six cents cavaliers persans. Pour l’entretien de ces troupes, qu’il avait disciplinées, armées, vêtues et fournies de chevaux à ses frais, de Boigne touchait un revenu de 5 millions et demi de francs, prélevés sur des districts situés dans le Doab. Son artillerie ne comptait pas moins de deux cents pièces de canons; la citadelle d’Agra lui servait de dépôt d’armes et d’arsenal. Quelques Mahrattes des vieilles familles ne voyaient pas sans déplaisir la formation de ces corps réguliers armés à l’européenne et traînant à leur suite de gros canons. Ils prétendaient que leur manière de combattre se trouvait entièrement changée, et qu’il leur devenait impossible de recourir, en un cas pressant, à ces retraites précipitées par lesquelles ils savaient se soustraire à une défaite générale. Les batailles sanglantes, où l’on se dispute pied à pied un terrain couvert de morts, où l’artillerie fait dans les rangs de larges trouées, les épouvantaient, et ils regrettaient les subites et impétueuses attaques à la manière des Mogols et des Arabes. Se sentant beaucoup plus inférieurs aux Européens quand ils essayaient de lutter contre eux avec leurs propres armes, ils se trouvaient humiliés, et ne comprenaient pas que ni la lance, ni l’épée, ni le bouclier