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ou au moins gardé à vue lorsque l’émeute éclata, et il l’aurait excitée lui-même pour obtenir son retour à la liberté. Ce qui paraît certain, c’est qu’il avoua sa complicité à un pieux brahmane en demandant ce qu’il devait faire pour expier ce meurtre. Le brahmane, qui avait étudié à Bénarès[1], lui répondit : « Vous devez sacrifier votre vie présente en expiation, car votre future existence ne suffirait pas à vous purifier ! Vous ne serez point heureux, votre gouvernement ne prospérera point. Pour moi, je quitte Pounah et je me retire de tout emploi tant que durera votre administration. » Les paroles du brahmane s’accomplirent; de grandes calamités assaillirent les Mahrattes durant l’administration de Ragounâth-Rao.

Cependant l’empereur Shah-Alam, confiné dans son palais et tenu captif par les Mahrattes, avait essayé de rompre ses fers. Profitant du moment où Sindyah levait les contributions accoutumées sur les Djats et les Radjepoutes, tandis que Holkar et le commandant en chef Visa-Dji-Kichen occupaient le pays des Rohillas avec cinquante mille chevaux, l’empereur avait levé des troupes et risqué une grande bataille. De part et d’autre, on déploya beaucoup de courage; mais la victoire resta aux Mahrattes, qui, sans se montrer trop exigeans, en retirèrent de nouveaux avantages[2]. Le cercle étroit dans lequel l’empereur mogol se trouvait enfermé allait donc toujours se rétrécissant, et sa puissance s’effaçait de jour en jour devant celle des Mahrattes. Par malheur pour ceux-ci, leur véritable force se déplaçait. Pendant que Sindyah et Holkar représentaient dans l’Hindostan et dans le Malwa la vitalité de la confédération, des troubles éclataient dans le midi, et des intrigues se formaient contre Ragounâth. On traitait d’usurpateur et de meurtrier ce peshwa détesté, que les historiens ont souvent désigné par son nom vulgaire de Ragobah ou Dada-Sahib. Le bruit s’étant répandu que Naraïn-Rao avait laissé sa femme enceinte, on entoura de précautions la jeune veuve, et le fils qu’elle mit au monde fut proclamé peshwa quarante jours après sa naissance. Environné d’ennemis, troublé dans sa conscience, Ragounâth avait à lutter

  1. Voyez History of the Mahrattas, by J. Grant Duff. — Ce brahmane vertueux et instruit, nommé Rani-Chastrie, avait été le précepteur et le conseiller intime du jeune peshwa Madhou-Rao. Il ne faut pas oublier que Ragounâth était brahmane, lui aussi, mais il avait passé plus de temps à intriguer pour obtenir le pouvoir qu’à étudier les livres sacrés.
  2. L’infanterie mogole s’était bravement conduite en cette circonstance. L’auteur anglais de l’Histoire des Mahrattes cite particulièrement « deux bataillons de cipayes, disciplinés dans l’origine par les Anglais, et commandés alors par un Français nommé Madoc, qui se retirèrent en bon ordre. » Ce Madoc fut l’un des premiers aventuriers européens qui s’élevèrent à un certain rang en prenant du service chez les princes indiens.