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n’en doit-il pas résulter de nouvelles complications dans les difficiles questions du prolétariat ? On est heureux de songer qu’avant d’arriver jusqu’à nous, ils ont bien des espaces libres encore à remplir dans Bornéo, dans Célèbes, la Nouvelle-Guinée, sous ces climats tropicaux fermés à la race blanche, et dont l’empire semble réservé par la nature aux noirs et aux jaunes.

Le contact qui commence aujourd’hui entre les Chinois et nous dans ces régions nouvelles ne paraît pas, d’ici longtemps, devoir se convertir en mélange : les deux races ont peu de sympathie l’une pour l’autre, et la famille anglo-saxonne, avec laquelle la race jaune Se trouve le plus en relation, est trop exclusive et trop absolue dans sa fierté pour admettre aucun rapprochement intime. Cependant des millions d’hommes ne communiquent pas journellement entre eux sans agir les uns sur les autres par un certain échange de goûts et de sentimens. On ne saurait nier l’influence réciproque qu’ont jadis exercée et subie les colonies grecques de l’Asie, les peuplades barbares transportées dans l’empire avant la grande invasion, les Grecs en Égypte ou les Phéniciens dans l’Afrique septentrionale. Les temps et les personnages sont changés, mais le principe reste le même, et il est servi de nos jours par la rapidité de la locomotion et la multiplicité du contact. Les Chinois ont beaucoup à recevoir ; en retour, qu’ont-ils à nous donner ? Ils sont patiens, sobres, laborieux ; leur unique aristocratie est celle du savoir ; leur religion a de merveilleux élans de charité, et l’on ne peut nier que la morale écrite dans les livres bouddhiques ne soit presque égale à la nôtre. Aux époques de déclin dans la foi et les vieilles croyances, chez eux comme chez nous, des hommes ont senti frémir en eux l’amour de l’humanité, et, demandant à la raison les lois de leur conduite, ils se sont rendus dignes, par l’excellence de leurs préceptes, du respect qui s’attache encore à leur nom. Que leur manque-t-il donc ?

Ce qui leur manque, c’est de s’être élevés par l’esprit au-delà de cette vie présente, c’est le sentiment spiritualiste dont nous avons abusé quelquefois pour nous égarer dans les profondeurs d’une métaphysique sans issue, mais qui est le principe des nobles actions. Pour les Chinois, il n’y a que cette terre ; ils n’ont jamais nourri de plus hautes ambitions et de meilleures espérances ; leur législateur lui-même n’a rien inventé de mieux : un large cercle de migrations dans ce monde, puis l’anéantissement. Et cependant le sentiment d’un autre avenir, l’idée que l’homme est supérieur à cette terre, des espérances qui ne se formulent pas, mais que l’on sent même: quand on les nie, voilà le seul principe clés actions généreuses. Sans ce principe, la meilleure morale, rejetée ou éludée par les intérêts des passions humaines, devient bientôt insuffisante. Si on lit la