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les Chinois; mais à quoi bon insister? Partout nous les voyons les mêmes : industrieux, actifs, patiens, ne demandant qu’à vivre et à gagner de l’argent, pour cela se faisant humbles et ne reculant devant aucune peine. Ce sont des fourmis humaines, des millions de Juifs qui se déversent sur le globe et en occupent chaque jour de plus larges espaces.

Voici donc la Chine ouverte : on ne peut plus reprocher à ses habitans de se parquer dans un coin du monde; il y a entre eux et nous un large contact, et les peuples commerçans ont enfin atteint le but qu’ils ont si longtemps poursuivi. Qu’on redouble l’activité des métiers de Birmingham et de Manchester. Le traité du Peï-ho ne reçût-il pas sa pleine exécution, la Chine vient à nous; ses habitans ne se préoccupent plus des lois séculaires d’isolement, leur vieux gouvernement voudrait en vain les retenir : ils entrent en communication avec les nations occidentales, et le marché qu’ils nous ouvrent est de trois cents millions d’hommes. — Mais ces hommes ont-ils plus besoin d’acheter que de vendre? Sont-ils si riches et si peu industrieux qu’ils doivent échanger longtemps leur argent contre nos marchandises? Là où nous les avons vus à l’œuvre, ils n’achètent guère; ils travaillent, vendent, ne reculent devant aucune besogne et amassent. Je sais bien que ces expatriés sont des gens profondément misérables; n’y a-t-il pas cependant un instinct commercial et un esprit d’épargne communs à tous les Chinois? Cette race possède dans une certaine mesure l’invention; elle a au plus haut degré la patience. La cause de son infériorité à l’égard de la nôtre, c’est qu’elle manque des ressources du perfectionnement; mais on peut prévoir qu’en contact avec nous elle ne tardera pas à s’approprier nos procédés. Le Chinois, si habile imitateur, mettra-t-il beaucoup de temps à faire fonctionner la vapeur et à dresser des métiers? On ne peut le penser. Alors cette concurrence, qui porte aujourd’hui principalement sur le travail des mines et sur le commerce de détail, trouvera à s’exercer sur une immense échelle, et causera peut-être un véritable préjudice aux fabriques, qui sont la vie et la fortune des nations commerçantes.

Les Chinois semblent préparés par leurs instincts à accaparer le commerce, et prêts à se faire les ouvriers et les courtiers du monde. S’ils viennent jusque dans nos villes d’Europe exercer les petites industries et apporter leurs services, les repoussera-t-on ? L’intérêt immédiat des entrepreneurs, des fabricans, de tous les industriels à qui ils offriront les bénéfices d’un labeur à bas prix s’y oppose; une telle mesure n’a d’ailleurs été praticable ni en Californie, ni à Victoria; comment le serait-elle dans nos pays de liberté accessibles à tous les peuples? Et si les Chinois nous inondent, s’ils privent une partie de nos populations de leurs ressources souvent exiguës,