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l’humanité et des progrès de la civilisation ; les autres s’effraient de ce débordement : ils redoutent leur industrie patiente, et il faut reconnaître en effet que la concurrence de l’invasion chinoise est une des grandes questions de l’avenir.

Bien longtemps avant de se répandre dans les colonies européennes, les Chinois ont entretenu des relations avec leurs voisins et se sont disséminés dans les grands archipels occidentaux du Pacifique. Tout le monde sait que Kiachta est l’entrepôt du commerce considérable qu’ils font avec la Sibérie. Au Japon, ils jouissent de privilèges un peu plus étendus que les Hollandais. Un officier de notre marine, qui le premier a montré le pavillon français aux ports du Japon que se sont fait ouvrir les Américains, M. Tardy de Montravel, a visité leur comptoir de Nangasaki. « Le quartier chinois, dit cet officier, fermé par un mur, est situé à l’une des extrémités de la ville et contient environ deux cents maisons ou magasins. Cette muraille ne leur interdit pas le libre accès de la ville ; ils peuvent la parcourir à leur gré, mais sous la surveillance incessante d’officiers de police et d’une foule d’espions. Leurs privilèges sont compensés par un tribut assez fort qu’ils paient au gouverneur de Nangasaki sous le nom poétique de fleur d’argent. Il est vrai qu’ils ne sont pas, comme l’ont été jusqu’ici les Hollandais, tenus d’envoyer à des époques déterminées ces ambassades qui nous ont appris à peu près tout ce que jusqu’ici nous savons de Yedo, mais qui absorbent la plus grande partie des bénéfices de la factorerie. » M. de Montravel a revu les Chinois hors de chez eux, dans la ville toute moderne, mais très importante, de Singapore, à l’extrémité de la longue presqu’île de Malacca, et comme tous les marins, comme tous les voyageurs, il atteste la prodigieuse activité, la richesse et l’importance de cette colonie chinoise. Elle tient exclusivement tout un côté du port, la rive gauche ; en outre, la plupart des rez-de-chaussées des maisons sont occupés par des Chinois. Leurs demeures sont en général des bouges obscurs et sans air, où s’agite pêle-mêle un nombre incroyable d’êtres vivans, hommes, femmes, enfans. Tout cela va, vient, travaille ; on dirait une fourmilière, mais l’aspect en est sale et nauséabond.

Dans le royaume de Siam, un missionnaire, M. Pallegoix, affirme que sur une population de cinq millions d’âmes environ, il n’y a pas moins de quinze cent mille Chinois. À Bangkok, deux cent mille paient la capitation. Ce sont, il paraît, les plus actifs et les plus industrieux habitans de cette capitale : ils travaillent aux sucreries, font d’immenses plantations de tabac, de poivre, de cannes ; ils sont très habiles agriculteurs et jardiniers. Beaucoup d’entre eux, leur petite fortune faite, s’en retournent dans leur pays. Les plus pauvres s’emploient aux terrassemens et aux constructions. Des femmes