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on recourt à l’épreuve solennelle du vase brisé, et comme le Chinois est d’une économie proverbiale et que les autorités ont déclaré que le vase mystique serait fourni par la partie plaidante, John Chinaman se munit d’un vase fêlé, d’un fragment ou même simplement d’une anse pour garantir la vérité de son témoignage. Il affirme pour sa part qu’il a été assailli durement et sans motif, tandis qu’il était paisiblement accroupi à la porte de sa tente. Le fait est cependant que le Chinois se tient à l’affût de l’Européen ivre, et que s’il peut l’attirer dans un coin reculé, où il est sûr qu’aucun secours ne lui arrivera, il le jette à terre et l’accable de coups; c’est ainsi qu’il se venge des injures et des dédains continuels auxquels il est en butte.

Habitudes, fêtes, associations, les Chinois de l’Australie, comme ceux de la Californie, ont conservé tous les caractères de leur physionomie nationale. En mai 1856, ils ont, à l’imitation de ceux-ci, publié un journal, le Chinese Advertiser. En septembre suivant, Joss-House a été inauguré. C’est un édifice en bois de deux étages, long de soixante-dix pieds et large de trente-cinq, consacré aux rites de la religion chinoise. Les entreprises de cette nature sont accomplies au moyen de souscriptions, et l’argent ne manque jamais. Des tentatives faites par des missionnaires protestans pour établir des missions à Melbourne et à Castlemaine n’ont pas réussi ; ceux même des Chinois qui se disent chrétiens conservent les grossières superstitions de leur pays. Ainsi, lors de l’éclipse de soleil qui eut lieu en Australie en 1856, tous frappaient sur des casseroles et des chaudrons pour détourner le méchant esprit qui voulait engloutir le soleil. Il est d’usage aux mines de ne pas travailler le dimanche. Les Chinois, malgré le regret qu’ils éprouvent de perdre une journée, s’abstiennent de travailler pour ne pas contrevenir à cette règle; mais ils ne vont pas, comme l’espéraient les missionnaires, se distraire à l’office : ils restent dans leurs tentes, s’occupent des petites affaires de leur ménage, se rasent la tête et tressent leur longue queue.

Ils n’ont presque pas amené de femmes en Australie. M. Westgarth rapporte, d’après une autorité très admissible, que sur trente mille Chinois il y avait quatre femmes seulement. Toute la masse chinoise est accusée d’immoralité. Quelques individus en très petit nombre ont épousé des femmes étrangères. Outre le travail des mines, les Chinois se sont attribué le menu commerce de détail et toute espèce de labeur pénible et rebuté; ils rendent à la colonie mille services dont elle se passerait difficilement. Aussi, en dehors des matelots et des gens du peuple qui, en les détestant et les maltraitant, obéissent à une antipathie instinctive, ils ont, parmi les gens qui raisonnent et qui écrivent, des partisans aussi bien que des adversaires. Les premiers les appellent et les admettent sans restriction au nom de