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usages, organisant le travail entre eux et se récréant à part, d’ailleurs sobres, patiens, économes, laborieux, contens du plus mince profit, ne reculant devant aucune tâche, et rappelant, par leurs qualités de patience et de travail, ces Imérétiens, ces Maltais, ces Auvergnats, qui ont monopolisé dans divers pays les travaux pénibles et rebutés. Aux mines, ceux qui n’avaient rien pour entreprendre une exploitation louaient leurs bras aux conditions les plus minimes, quatre ou cinq dollars par mois.

Avec ces qualités et à cause de ces qualités même, les Chinois ne tardèrent pas à devenir pour les Américains un objet de profonde aversion : on ne pouvait voir, disaient les journaux californiens, John Chinaman, John Couleur de Safran, et vivre à côté de lui sans le prendre en haine et en dégoût. Il est sale et couard; habit, couleur, visage, manières, tout répugne dans sa personne. Cependant le pauvre John était, parmi tous les étrangers, le seul qui payât scrupuleusement la licence exigée des mineurs; il était facile et conciliant, se laissant, à la fantaisie des blancs, expulser des lieux qu’il avait choisis, et ne s’avisant jamais de se présenter dans les riches exploitations que ceux-ci se réservent. De l’aveu même d’observateurs américains, il était généralement tranquille, industrieux, charitable pour ses compatriotes, ne s’adonnait jamais à l’ivrognerie ; il était attaché à ses parens et plein de respect pour la vieillesse, qui, disait-il, est la sagesse même. Tout ce qu’il demandait, c’était une place, la moindre et la dernière, pour travailler et vivre, puis s’en retourner dans le pays de ses aïeux. En effet, la plupart retournaient en Chine après avoir amassé une petite somme, et ce fait est particulier aux Chinois mineurs en Australie aussi bien qu’en Californie ou à Bornéo. Dans les autres régions baignées par l’Océan-Pacifique, ceux qui s’adonnent au commerce, et surtout à la culture, oublient plus facilement le pays où ils sont nés; mais dans celui où ils s’établissent ils emportent leurs habitudes, conservent leur langue et transportent pour ainsi dire la Chine avec eux.

Si quelques Chinois, leur petite fortune faite, s’en retournaient, en revanche un si grand nombre affluait que les Américains s’effrayèrent de cette disproportion; dans un seul mois de 1852, il en arriva dix mille, et l’on apprit qu’un nombre égal était en chemin; c’était à craindre que la Californie ne devînt pays chinois. On prit l’alarme, et des mesures furent sollicitées pour mettre un terme à cette invasion. Le président Bigler provoqua de la législature une loi interdisant une plus grande immigration; mais son message fut repoussé. En effet, si ces Chinois étaient menaçans pour l’avenir, ils étaient bien utiles dans le présent; il était si commode d’avoir sous la main ces hommes qui, pour un mince salaire, faisaient la besogne la plus