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Européens s’en allaient à l’autre bout du monde, ils étaient le plus souvent appelés par des relations de métropole à colonie. Sur les rivages les plus lointains, ils retrouvaient encore l’Europe, et ils pouvaient se croire les seuls acteurs du monde. Ouvrir aux produits de nos industries les grands empires de l’extrême Asie, extérieurement inactifs et en apparence immuables, tel était le rêve des nations maritimes et commerçantes ; voici que ces vœux commencent à être dépassés. Le Japon n’en est encore sans doute qu’à modifier l’ancien système de ses relations avec les étrangers; mais la Chine verse déjà au dehors des flots de marchands, d’ouvriers, de mineurs; c’est un débordement qui s’accroît tous les jours. Il semble que le moment est venu où les deux grandes races qui se sont autrefois séparées sur les versans de l’Himalaya et de l’Altaï, l’une, la race blanche, pour aller féconder de son activité les rivages de l’Atlantique, l’autre, la race jaune, pour fonder sur les bords du Pacifique de vastes empires, doivent se rapprocher et créer par leur contact une nouvelle période de l’histoire.

Quels résultats doivent sortir de ce contact? C’est une question à laquelle il serait sans doute bien ambitieux de vouloir répondre, tant ces résultats promettent d’être compliqués. Ce que l’on peut essayer de connaître, ce sont les aptitudes, les qualités bonnes et mauvaises, tout le contingent d’idées et de notions que les nouveau-venus apporteront, si, comme il semble, ils sont destinés à vivre avec nous d’une vie commune et appelés à agir concurremment sur le globe. Pour cela, il faut les suivre dans les conditions de leur nouvelle existence, les voir à l’œuvre hors de chez eux, dans les contrées vers lesquelles se dirigent leurs émigrations. Ces émigrations ont un double caractère, selon qu’elles ont été provoquées ou qu’elles sont libres et spontanées. Dans le premier cas, les Chinois sont des mercenaires, ce que l’on appelle des coolies, engagés au service des colons anglais, espagnols ou français. Dans le second cas, ils agissent suivant les seules lois de leurs instincts, de leurs besoins et de leur volonté. Ces deux conditions distinctes de leur existence hors de la Chine méritent d’être étudiées séparément, parce qu’elles produisent des résultats très différens; l’une réussit peu, tend à disparaître et appartient presque à l’histoire du passé, tandis que l’autre prospère, se développe, et c’est elle qui fait présager de grandes complications dans l’avenir.


I. — L.ES COOLIES CHINOIS.

L’abolition de la traite avait bouleversé le vieux système colonial, et l’Angleterre en souffrait plus que toute autre nation. Les blancs,