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crédit. On s’est étonné qu’un écrivain à son début entreprît un si grand ouvrage et ne se montrât pas trop au-dessous de l’entreprise. M. Buckle ne vient, à ce qu’il paraît, d’aucune université ; aucun grade académique n’accompagne son nom, aucun succès scolaire ne l’a d’avance recommandé. C’est encore une exception chez nos voisins que de prendre rang dans la littérature sérieuse sans être connu par ces sortes d’antécédens. On y est surpris qu’un homme sache écrire, s’il n’a fait ses preuves comme scholar. Aussi peut-être aura-t-on remarqué que M. Buckle, dont l’ouvrage atteste les lectures variées, s’y montre moins versé dans les lettres antiques que dans l’histoire et la science modernes, et affectionne moins les citations grecques et latines que ne font d’ordinaire ses compatriotes ; mais son sujet n’exigeait pas ce genre d’érudition, et sa manière d’écrire n’est pas pour cela celle d’un esprit sans culture et sans goût. Son style est sain et clair, et si l’imagination ne le relève pas d’un vif éclat, il est exempt de toute recherche : ni les images outrées et discordantes de l’Irlande, ni les abstractions néologiques de la Germanie ne viennent défigurer ou obscurcir sa pensée. Toujours sérieux et solide, il se fait lire avec facilité, avec une sorte d’entraînement ; il intéresse, même quand il ne persuade pas.

Ce n’est pas qu’un certain défaut d’art ne se fasse sentir dans la composition et ne trahisse l’inexpérience de l’auteur. On s’aperçoit qu’il a pensé et travaillé seul, particulièrement à la multiplicité de ses citations, de moitié trop nombreuses et trop peu sévèrement choisies. M. Buckle a voulu prendre acte de ses études, et montrer qu’il n’avançait rien à la légère ; mais il s’expose ainsi à faire remarquer ses omissions, et par exemple, dans un bon travail sur les historiens français, il a l’air de ne pas connaître les Lettres sur l’Histoire de France et les Dix Ans d’Études d’Augustin Thierry. Heureusement c’est aux notes du bas des pages seulement que cette critique s’adresse, et le texte forme une déduction suivie, où le raisonnement tient plus de place que l’autorité.

Il est vrai que ce texte est une introduction de huit cent cinquante pages ! Quel monument peut comporter un tel vestibule ? J’avoue qu’à moins que l’auteur plus tard n’écrive tout simplement une histoire d’Angleterre en insistant seulement plus qu’on ne l’a fait sur celle de la société britannique, je ne vois pas ce qu’il pourra dire dans la suite de son livre qu’il n’ait au moins résumé dans son introduction. Près des deux tiers de celle-ci sont consacrés à l’exposition et à l’examen des faits historiques ; tout n’est pas donné, comme on pourrait le croire d’abord, à la philosophie de la question. La philosophie tient bien une place, mais ce n’est pas celle qu’on attendrait. Ne cherchez point par exemple une définition de ce grand mot de civilisation.