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« Ma bonne Thérèse,

« Tu m’en voudras, mais pas longtemps, j’en suis bien sûr, à cause de ton bon cœur. Je me fais contrebandier ; on dit qu’il n’y a point d’état comme celui-là pour s’amuser et gagner de l’argent. Ça te fait faire la mine ? Quand tu auras vu les belles choses que je veux te donner, bien sûr, tu ne la feras plus. On m’a dit que M. Riduet, qui est si riche, a gagné tout ce qu’il a par la contrebande. Quand j’aurai bien de l’argent comme lui, nous partagerons ensemble, et tu te marieras avec Ferréol. Allons, voilà que tu vas recommencer à te fâcher ; est-ce que tu crois que je ne sais pas bien que tu l’aimes ? Tout le village me l’a dit, et je le savais déjà. Ferréol était à Nozeroy ces jours derniers ; j’y suis allé pour le voir. Croirais-tu qu’il ne voulait pas me laisser aller le rejoindre ? Je l’ai tant tourmenté qu’il a fini par dire oui ; je pars pour Mouthe demain matin ; vive la joie ! J’espère aller bientôt en Suisse. Soigne bien notre vache, qui est malade ; tu me feras savoir aussi ce que je pourrai envoyer à notre bonne vieille mère pour lui faire bien plaisir. Adieu, ma bonne Thérèse. Que vas-tu devenir quand je ne serai plus là pour te faire endiabler ?

« TONY. »

La lecture de cette lettre affligea vivement Thérèse, elle y gagna du moins de ne plus rien ignorer de ce qu’elle avait un si grand intérêt à connaître. Un moment elle eut la pensée de courir à Mouthe, de se mettre à la recherche de son frère ; mais Ferréol était avec Tony, et qu’eussent dit de sa conduite les gens du village ? Elle resta donc, attendant avec résignation que Dieu exauçât les prières qu’elle lui adressait chaque jour pour son frère et pour celui qu’elle n’osait plus nommer son fiancé.

Ferréol cependant ne demeurait pas oisif. Il n’avait que deux jours pour organiser son expédition ; ces deux jours lui suffirent. On se rappelle que son but principal était de faire passer un riche convoi pendant que les douaniers seraient occupés à le surveiller lui-même. Beaucoup de sentiers conduisent du Noirmont à Mouthe ; Ferréol savait que les douaniers n’étaient pas assez nombreux pour les garder tous ; il s’attacha surtout à les éloigner de celui par lequel il se proposait de passer. Devant leur vieille espionne, il avait déroulé un faux plan de campagne ; plus tard il envoya Joachim Salambier leur dévoiler son itinéraire véritable, bien convaincu qu’il était que les douaniers, connaissant leurs relations, prendraient précisément le contre-pied de tout ce que leur dirait le prétendu dénonciateur, avec lequel d’ailleurs le jeune homme avait eu soin de se montrer quelques instans auparavant dans le village. Certes Ferréol n’avait dé-