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IV.

En rentrant à la ferme après avoir quitté la vieille Piroulaz, Thérèse était fort abattue. Sa mère ne put manquer de s’en apercevoir, mais elle n’osa pas la questionner. — Couche-toi, Thérèse, lui dit-elle seulement, tu es fatiguée; cela te fera du bien. — Les gens des campagnes voient dans le sommeil le suprême remède à tous les maux, et certes ils n’auraient pas tort, si ce remède était toujours à la disposition de ceux qui souffrent. Thérèse obéit tout de suite, non qu’elle espérât le sommeil, mais au moins elle serait seule, et n’aurait plus besoin de faire des efforts pour cacher sa peine dans la crainte d’affliger l’excellente femme. Le lendemain, elle se leva avant le point du jour; elle aurait voulu aller à l’église, mais l’abbé Nicod ne disant sa messe que vers sept heures, l’église était fermée pour longtemps encore. A dix minutes de Gilois, au sommet d’une vaste pelouse solitaire, est un de ces oratoires agrestes si nombreux dans la montagne du Jura, oratoires qui ne consistent pour la plu- part qu’en une croix de bois qui surmonte une image plus ou moins grossière de la Vierge avec quelques pieuses inscriptions. Alors que dans son enfance elle gardait aux champs le bétail de leur petite ferme, Thérèse ne manquait jamais de conduire ses bêtes dans cette partie du communal pour faire sa prière devant la sainte image, qu’elle se plaisait à entourer de guirlandes de feuillage et de fleurs renouvelées par elle au moins une fois chaque jour. Instinctivement elle prit ce même chemin. Agenouillée au pied de la croix, elle pria longuement et ardemment; elle pria pour Tony, pour Ferréol, pour elle-même. Elle conjura la Vierge de retirer Tony de cette voie malheureuse où il venait de se précipiter, et, bien que regardant ou croyant regarder Ferréol comme étranger désormais à sa destinée et à son cœur, elle se surprit à adresser au ciel la même prière pour lui. Ce qu’elle demanda avec le plus de ferveur, ce fut pour elle-même la force de demeurer calme et ferme au milieu de ces épreuves et d’en épargner à sa mère le contre-coup. Elle était encore à prier quand le bruit des campènes[1] du bétail, qui montait au communal, vint lui rappeler qu’il était temps de retourner à la ferme, où elle avait les vaches à traire et le lait à porter à la fromagerie. Elle se leva aussitôt et regagna le logis. De retour du chalet, comme elle cherchait dans son armoire un linge dont elle avait besoin pour essuyer ses vases à lait, le hasard fit qu’elle mit la main sur un chiffon de papier caché depuis deux ou trois jours entre deux de ses robes, et dans lequel elle lut ce qui suit :

  1. Campène, clochette de bétail.