sien, mais appartenant à l’un de ses camarades. La chanson fut assez applaudie, même par les douaniers; le chanteur, et surtout son trait d’espièglerie, le furent bien davantage. Le silence une fois rétabli, un des douaniers, surnommé Fine-Oreille, fit signe qu’à son tour il avait quelque chose à chanter, et il commença sans plus de façon une chanson écrite en patois, qui perdra, à être traduite, beaucoup de sa naïve vivacité.
« Le vaillant contrebandier, quand il s’en va-t-en guerre, a mis ses chaussons de toile[1], il regarde à droite et à gauche.
« Derrière ni devant, il n’aperçoit personne. « Bon, dit-il, les chemins sont libres, tout ira bien.
« Ce n’est pas, Dieu merci! que j’aie peur des gabelous[2], fussent-ils dix et dix encore.
« Jean de l’Épine[3] que voici en vaut bien dix, et dix le caillou que j’ai noué dans un coin de mon mouchoir.
« La nuit venue, voilà qu’au pied d’un buisson, dans le bois, une souris grignote.
« Oh! oh! dit notre brave, débretelons[4], et lestement; ces maudits gabelous sont tous à mes trousses.
« Mieux vaut courir qu’être pris; courir exerce les jambes; en Suisse, il y a des prix pour la course.
« Qu’est-ce que dit la chanson ? « Hirondelle en l’air chante mieux que rossignol empaillé. »
« Il jette son ballot et prend Jacques-Déloge[5]. S’il ne court plus, c’est que depuis ce temps-là un gabelou lui a mis la main dessus.
« Ce n’était pas une souris qui avait grignoté dans le buisson, ce n’était qu’un meset[6], gros à peine comme (la noisette qu’il était en train de ronger.
« Il devrait cependant connaître les souris, le vaillant contrebandier; dans la prison de Pontarlier, on en entend plus que de rossignols des bois.
« Savez-vous ce que disait feu ma grand’mère? « Qu’il n’aille pas au bois, celui qui a peur des feuilles. »
« Et la mère de ma grand’mère : « Rien ne vaut de tout ce qui est oiseau de nuit. »
La chanson de Tony n’avait été qu’applaudie; grâce à sa forme burlesque et patoise, celle de Fine-Oreille excita dans la salle entière de véritables transports d’enthousiasme. Malgré ses sympa-
- ↑ Les contrebandiers portent dans leurs courses de forts chaussons de toile qu’ils fabriquent eux-mêmes avant chacun de leurs voyages.
- ↑ Gabelou, et loup par abréviation, de gabelle.
- ↑ Jean de l’Épine, bâton d’épine noire dont s’arment volontiers les montagnards du Jura.
- ↑ Jetons notre ballot.
- ↑ Prendre Jacques-Déloge, prendre la fuite.
- ↑ Souriceau, de mus.