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était venue se fondre comme une vague mourante ; pour lustre le soleil, pour spectateurs trente mille citoyens libres. L’acteur, il est vrai, disparaissait, mais il était remplacé par l’idée elle-même enfouie sous l’un ou l’autre des deux masques symboliques qui grimaçaient la douleur et le plaisir, ces deux termes de tous les sentimens humains. OEdipe, Ajax, Prométhée, la fatalité, la force, la pensée, telles étaient les clés de ces tétracordes gigantesques. Aujourd’hui ces grandes abstractions ont fait place aux innombrables diversités d’intérêts et de passions qui agitent la société telle qu’elle est constituée. Une nouvelle idée, plus ou moins bien comprise, domine en apparence nos œuvres dramatiques, la morale, et pourtant notre fatalisme n’est plus cette volonté suprême et divine qui perdit le fils de Jocaste et la fille de Pasiphaé, c’est le hasard ! Mais si, abandonnant ces grandes formules qui résument avec le génie d’une race toute une civilisation, nous nous tenons simplement à l’Œdipe-Roi, représenté sur le Théâtre-Français et traduit par M. Jules Lacroix, nous verrons encore que cette œuvre est à proprement parler un modèle d’action dramatique. L’intérêt naît comme ce petit point noir que l’on découvre en mer à l’horizon, et grossit peu à peu avec l’enchaînement de situations inévitables. Rien n’étonne dans cette étonnante tragédie, parce que rien n’est brusqué. Un souffle qui augmente progressivement emporte l’esprit sans fatigue et sans dégoût dans la région des plus honteuses misères et des plus poignantes douleurs. La tragédie ainsi comprise est un idéal que nous ne pouvons plus atteindre.

Seuls de nos jours, Gœthe avec Iphigénie, Schiller avec la Fiancée de Messine, ont pénétré dans cette sphère interdite à nos idées et à nos sentimens, qui s’éloignent de plus en plus de l’abstraction pour s’individualiser et n’apparaître que sous une forme concrète. Est-ce un mal cependant que cette transformation ? Nous ne le croyons pas ; elle est le résultat de la marche progressive des époques et des races, et si elle ne se manifeste pas avec l’harmonie des inspirations grecques, elle a des vertus et des fermens que ne connaissait pas l’antiquité. Quoi qu’il en soit, des évocations sévèrement choisies et convenablement exécutées des premiers chefs-d’œuvre de l’art tragique mériteraient sans aucun doute les encouragemens de la critique. Si elles ne s’adressent pas au public en général, elles offrent du moins aux jeunes écrivains l’occasion d’étudier à leurs sources les plus pures les lois et les procédés de la composition dramatique.


EUGENE LATAYE.


Le Livre des jeunes Mères, par M. A. de Deauchesne[1].

Ce livre est un recueil de petits poèmes « éclos au foyer de famille, » comme le dit l’auteur, et comme le prouve assez l’accent de ces pages tour à tour familières, pensives ou doucement railleuses. C’est l’enfant qui est le héros de ce cycle élégiaque, l’enfant suivi depuis le berceau jusqu’à la première

  1. 1 vol. in-8o, chez Henri Pion, 8, rue Garancière.