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toute la question ; le temps et le public en ont fait peu à peu justice. Y a-t-il eu erreur pour quelques-uns, et ne pourrait-on pas appeler de ce jugement ? Nous ne voudrions pas le nier complètement ; mais ceux qui doivent leur conservation à cet esprit de suite dont parlait Richelieu et à une intelligente tradition ne peuvent-ils pas se contenter de dire : J’existe, donc ma raison d’être est excellente ? Ainsi considéré, le débat sort, ce qui devrait toujours avoir lieu, des petites querelles qui n’intéressent que les personnalités. — Les nouvelles de M. Asselineau ne justifient pas d’ailleurs l’objet de sa préface ; il sait fort bien lui-même qu’il n’y a pas là un livre : ce sont de simples ébauches, dont quelques-unes, nous devons le dire, font regretter que l’auteur ne se soit pas décidé à une plus large exécution, par exemple le Cabaret des Sabliers et le Roman d’une Dévote ; le Mensonge forme encore un assez joli sujet de comédie. Nous devons donc souhaiter que l’auteur prouve un peu plus efficacement, quant à lui, l’opportunité de ses condoléances : pour que le livre plaide, il faut au moins que le livre soit.

La jeunesse semble devenir le thème favori des auteurs dramatiques. Présente, on l’étudié pour préjuger son avenir ; passée, on la recherche et on la rappelle si l’on a devant soi, comme une énigme à déchiffrer, un homme dont l’être intime est encore caché sous le voile. C’est un procédé dont l’expérience des jours qu’on a soi-même vécus démontre la douloureuse justesse. On peut le plus souvent reconstruire toute une existence avec les derniers faits où elle s’est manifestée, comme Cuvier, avec des débris d’os, recréait de gigantesques formes sans patrie et sans nom. C’est que la vie ne se recommence pas, elle se succède pour ainsi dire, en se correspondant toujours et ses dernières heures ne sont que l’écho agrandi et transformé des heures premières. L’homme, dans la succession insensible de ses labeurs, de ses joies et de ses tristesses, est à lui-même son propre garant, sa propre providence, sa propre responsabilité. Cette pensée éminemment morale a inspiré M. Léon Gozlan dans la nouvelle pièce qu’il a donnée au Gymnase, Il faut que jeunesse se paie. — Ah ! si jeunesse savait ! murmure le vieillard qui arrive à la tombe en retenant au bord de ses lèvres le secret de la vie prêt à s’en échapper. Ah ! si vieillesse pouvait ! s’écrie le jeune homme dont la moindre folie est de s’épuiser, même pour les choses sérieuses, dans une ardeur mal calculée. Entre ces regrets et cette présomption, toute notre vie s’écoule ; nous le sentons sans le comprendre, et c’est pourquoi ce titre, spirituellement détourné par M. Léon Gozlan, renfermait un charme particulier qui piquait notre curiosité et nous réveillait de cet assoupissement où nous essayons de guérir nos désirs trompés, nous tous qui payons plus ou moins notre jeunesse. Après avoir livré ses premières années à toutes les folles passions, après s’être même permis l’absurde sottise de reconnaître comme sien l’enfant de je ne sais quelle fille, le héros de M. Gozlan tente de refaire sa vie, croit-il, en se conduisant désormais comme un homme sérieux et en combattant bravement pour son pays. Treize ans se passent, après lesquels il revient, n’ayant plus rien du jeune homme d’autrefois, pas même le souvenir. La vie lui sourit en ce moment avec toutes ses illusions, comme si elle ne faisait que commencer pour lui. Un beau mariage va couronner cette œuvre de régénération, quand soudain le passé tout entier accourt pour ressaisir