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par la brève étendue que l’on s’étonnait parfois de rencontrer dans certains épisodes. Plusieurs des premiers récits de Mme Reybaud auraient comporté en effet un développement dont la charpente idéale n’était pas toujours bien accusée dans l’exécution. L’auteur sauvait ce manque de proportion entre l’esquisse du plan et les contours définitifs par l’agrément d’un style dont l’originalité est incontestable et surprend insensiblement l’esprit du lecteur, qui s’applique d’autre part à rétablir la mesure des faits qui lui sont exposés. Mme Charles Reybaud a montré qu’elle possède aujourd’hui la difficile harmonie de la composition en produisant un roman, Mademoiselle de Malepeyre, écrit avec une fermeté et une précision que nos lecteurs n’ont pu oublier. Le Cabaret de Gaubert[1], dont ils se souviennent aussi, est également un témoignage remarquable de la nouvelle manière de l’auteur. La phrase insinuante et allongée qui lui est habituelle s’y joint à une vigueur de contour plus assurée. Cette transformation progressive prouve qu’on n’acquiert l’art d’écrire qu’en mettant en pratique, par de nombreux essais quelquefois, l’étude théorique des modèles. Mme Reybaud appartient à cette période d’écrivains délicats et soigneux qui s’efforcent constamment de sacrifier leur facilité au véritable style, et arrivent ainsi à une réputation méritée, qui, pour n’être pas surprise, n’en est que plus durable.

Le volume que vient de publier M. Charles Asselineau, la Double Vie[2], forme plutôt une série d’esquisses et de plans qu’une suite de nouvelles complètement développées. Si nous avons bien compris une intention que l’auteur du reste ne craint pas de manifester ouvertement, la publication de ces récits ne serait que l’occasion d’une préface qui peut se résumer en deux mots : les revues ont tué les livres. M. Asselineau part à peu près uniquement, pour soutenir cette thèse au moins paradoxale, de certaines discussions intimes, interdites par leur nature à la connaissance du public, et qui s’élèvent quelquefois entre tel écrivain et tel directeur de journal. Les modifications, prétend-il, que la nature et les exigences d’un recueil font subir à l’originalité d’une œuvre personnelle n’aboutissent à rien moins qu’à enlever toute liberté à l’expression de la pensée. On peut faire remarquer à M. Asselineau, et à tous ceux qui s’appuieraient sur un semblable raisonnement pour justifier ou leur impuissance ou leur mauvais vouloir, qu’une revue, qu’un journal comporte une idée collective, et par cela même possède entièrement le droit de repousser le contact d’une idée individuelle qui tendrait à l’altérer. Un rédacteur en chef n’est pas un éditeur ; l’éclectisme qu’on voudrait lui imposer serait la mort de son recueil, et c’est une vérité que les faits ont justifiée. Quant à cette objection plus grave qui s’appuie sur la libre expression de la pensée, les faits encore se chargent d’y répondre. Depuis 1830, il n’est pas d’idée, si excentrique qu’elle fût, qui n’ait trouvé pour se manifester un organe de publicité quelconque. Nous avons été inondés de recueils et de journaux qui correspondaient aux opinions les plus opposées comme aux nuances les plus délicates. Pourquoi ces foyers littéraires ou philosophiques se sont-ils éteints presque tous ? Là est

  1. 1 vol. in-12, L. Hachette.
  2. 1 vol. in-12, Poulet-Malassis et de Broise.