Page:Revue des Deux Mondes - 1858 - tome 17.djvu/97

Cette page a été validée par deux contributeurs.

cation des chambres de Raphaël, sont-ils d’un poète obstinément enfermé dans sa province ? Il avait combiné une meilleure distribution de ces tableaux ; tout le recueil de Primel et Nola devait s’y fondre ; des pièces non réunies encore en volume, d’autres tout à fait inédites, les Celtes, la Dame de la Grève, les Dépositaires, y auraient trouvé place, et de même que la Fleur d’or a montré sous un jour nouveau les poésies des Ternaires, cette seconde édition des Histoires poétiques aurait révélé l’abondante inspiration de l’auteur dans la dernière période de sa vie. S’il n’a pas eu le temps d’accomplir lui-même son œuvre, il en a laissé le plan très net, très précis, et le rêve du scrupuleux artiste sera réalisé.

Les derniers vers que Brizeux ait imprimés sont intitulés l’élégie de la Bretagne. C’est le cri suprême du barde. On dirait qu’il désespère de l’œuvre à laquelle il a consacré sa vie. Dans cette lutte pour la défense des vieilles mœurs, il se sent vaincu et il pousse un gémissement à faire tressaillir les os des ancêtres. Ah ! le grand destructeur arrive, c’est la machine en feu qui roule sur la voie de fer :


Le dernier de nos jours penche vers son déclin :
Voici le dragon rouge annoncé par Merlin !
Il vient, il a franchi les marches de Bretagne,
Traversant le vallon, éventrant la montagne,
Passant fleuves, étangs, comme un simple ruisseau,
Plus rapide nageur que la couleuvre d’eau :
Il a ses sifflemens ! Parfois le monstre aveugle
Est le taureau voilé dans l’arène et qui beugle :
Quand s’apaise la mer, écoutez longuement
Venir sur le vent d’est le hideux beuglement !

Bientôt ils descendront dans les places des villes,
Ceux qui sur les coteaux chantaient, gais chevriers,
Vendant leurs libres mains à des travaux serviles,
Villageois enlaidis vêtus en ouvriers.

Ô Dieu qui nous créas ou guerriers ou poètes,
Sur la côte marins et pâtres dans les champs.
Sous les vils intérêts ne courbe pas nos têtes.
Ne fais pas des Bretons un peuple de marchands !

Nature, ô bonne mère, éloigne l’industrie !
Sur ton sein laisse encor nos enfans s’appuyer !
En fabrique on voudrait changer la métairie :
Restez, sylphes des bois, gais lutins du foyer !

La science a le front tout rayonnant de flammes,
Plus d’un fruit savoureux est tombé de ses mains :
Éclaire les esprits sans dessécher les âmes,
Ô bienfaitrice ! alors viens tracer nos chemins.

Pourtant ne vante plus tes campagnes de France !
J’ai vu par l’avarice ennuyés et vieillis
Des barbares sans foi, sans cœur, sans espérance,
Et, l’amour m’inspirant, j’ai chanté mon pays.