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de la franchise et qui gagne les cœurs. On ne saurait être plus pressant que le tsar ne l’a été dans ses exhortations à la noblesse récalcitrante de Moscou : « Il faut commencer les réformes par en haut, si vous ne voulez pas qu’elles viennent d’en bas ; » paroles aussi intelligentes qu’honnêtes, rare langage dans la bouche d’un souverain, qui attireront sur l’empereur Alexandre l’attention sympathique de l’Europe. L’on annonçait récemment que le jeune empereur visiterait l’année prochaine la France et l’Angleterre. Ce prince ne connaît point notre pays, mais il a vu autrefois l’Angleterre, et dans le séjour qu’il y fit, l’université d’Oxford lui conféra le diplôme de docteur. Avant la dernière guerre, lorsqu’il n’était encore que l’héritier présomptif de la couronne, le grand-duc préférait à toutes les dénominations qui rappelaient ses dignités et ses commandemens le simple titre de doctor de l’université d’Oxford. Si le docteur couronné, si l’émancipateur des serfs russes vient en France et en Angleterre, il trouvera chez les grands peuples de l’Europe occidentale une chose qu’il doit préférer aux pompes officielles : nous voulons parler des applaudissemens et des vœux dont le libéralisme européen l’accompagne dans sa généreuse entreprise.

L’Angleterre continue cette élaboration politique qui, comme nous le disions dernièrement, ne chôme jamais dans ce pays, même dans l’intervalle des sessions parlementaires. Les deux questions à l’ordre du jour dans les réunions où les membres du parlement viennent consulter ou diriger le sentiment national sont une question sociale, — l’éducation populaire, — et une question politique, la réforme électorale. Partout, sous l’initiative des classes riches et éclairées, se forment des athénées d’ouvriers, des méchanics’ institutes, où les travailleurs peuvent utiliser leurs loisirs en cultivant leur intelligence, et en s’élevant par conséquent dans la sphère sociale. Les hommes politiques de tous les partis concourent avec une égale application aux progrès de l’éducation populaire. Des tories comme sir John Packington, des libéraux comme lord John Russell, se rencontrent dans cette œuvre commune de patriotisme et d’humanité. Les hommes d’état anglais font preuve de véritable intelligence en travaillant à répandre l’instruction dans le peuple au moment où ils s’apprêtent à ouvrir l’exercice des droits électoraux et parlementaires à une couche nouvelle de la démocratie. C’est un contresens en effet durement expié par les sociétés démocratiques que d’étendre indéfiniment le suffrage sans s’inquiéter de la capacité intellectuelle et morale de ceux à qui on livre ce redoutable instrument de la puissance politique. L’oppression de toute une société par une seule classe, par celle qui est le moins propre à conduire elle-même le gouvernement, et qui ne se sert de son pouvoir que pour l’abdiquer aux mains d’un seul, telle est la conséquence inévitable de la rupture de l’équilibre dans le progrès démocratique. C’est contre cet écueil que les hommes d’état anglais cherchent à se prémunir, en travaillant d’abord à l’instruction du peuple ; c’est de cet écueil qu’ils auront à se préserver dans le bill de réforme électorale qui sera présenté l’année prochaine au parlement. Un des hommes les plus considérables du parti libéral, sir Cornewall Lewis, vient d’aborder cette question avec beaucoup de sens et de résolution devant une réunion d’électeurs. Sir Cornewall Lewis croit que la prochaine réforme devra faire entrer dans le corps électoral