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notre langue qu’il a été engagé et soutenu, et la plupart des orateurs étaient des avocats ou des écrivains français. Nous avons déjà énoncé notre opinion sur la portée que l’on veut donner à la propriété littéraire ; le congrès de Bruxelles est arrivé à une conclusion semblable à la nôtre : il a repoussé l’idée de la perpétuité de la propriété littéraire, et il a proposé d’étendre à cinquante ans après la mort de l’auteur le droit des héritiers à la propriété de l’œuvre. Ce n’est pas que la cause de la perpétuité n’ait eu d’éloquens défenseurs ; mais, comme nous l’appréhendions, les avocats de la perpétuité de l’héritage intellectuel se sont égarés dans des généralités philosophiques et sentimentales qui trompent bien des esprits généreux sur la nature de la propriété littéraire. On a parlé de cette propriété en l’assimilant aux autres formes de la propriété, comme si elle était de droit naturel ou de droit divin ; l’on a confondu le droit d’un auteur pendant sa vie aux fruits de son travail avec la transmission perpétuelle à ses héritiers de ses droits sur son œuvre ; puis, après avoir défini avec si peu de précision les termes de la question, on a cru jeter à la tête de ses adversaires un invincible argument en les accusant de raisonner comme des communistes. Quoique les partisans de la propriété littéraire perpétuelle nous paraissent avoir manqué de tolérance dans cette discussion vis-à-vis de ceux qui se contentent de la propriété littéraire limitée, nous ne voudrions point user de représailles envers eux, et mêler à une controverse si généreuse les provocations des polémiques irritantes. Nous nous bornerons à signaler leur erreur radicale. On n’est point communiste pour dénier à la propriété en général, et à la propriété littéraire en particulier, le caractère d’un droit divin ou naturel ; on n’est pas plus communiste en cela que ne l’étaient Bossuet et Montesquieu, qui ne voient dans le droit de propriété qu’une convention sociale réglée par la loi civile et politique. On courrait au contraire le danger de fournir aux communistes des argumens trop puissans, si, par une de ces exagérations qui irritent et légitiment des contradictions excessives, l’on invoquait une autre sanction pour le droit de propriété. En fait, le droit de propriété est si peu absolu, qu’il est régi et limité par des lois civiles différentes dans des sociétés et sous des gouvernemens qui ne sont rien moins que communistes. La propriété intellectuelle et littéraire est elle-même l’exemple le plus récent et le plus curieux de la manière dont un droit pareil peut s’établir et se développer. Dans le sens que l’on y attache aujourd’hui, à savoir la participation de l’auteur aux bénéfices résultant de la vente de ses livres, il est d’hier : il n’existe que depuis l’invention de l’imprimerie. Pour être capable de produire des profits comme un travail industriel, des profits prélevés sur la vente et la consommation du produit, il a fallu qu’une invention mécanique, l’imprimerie, vînt apporter à la création littéraire une collaboration industrielle qui multiplie indéfiniment les produits de cette création. Sans le concours matériel de l’imprimerie, il n’eût jamais été question du droit de propriété littéraire. En voyant se former sous leurs yeux cette nouvelle propriété, toute différente des formes de propriété que l’histoire leur avait léguées, les nations modernes ont essayé de la régler, de la définir, de la constituer par une série de tâtonnemens et d’essais qui ont eu pour objet de concilier avec l’intérêt général et supérieur de la société l’intérêt particulier