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officier supérieur ne figurait plus sur les cadres de l’armée. Le colonel Crawfort, qui résidait dans le midi de la France, le colonel Macnimara, qui résidait à Paris, ne furent pas davantage agréés. À chaque nouvelle décision, le ministre me faisait annoncer par écrit que, malgré les dénégations du gouvernement britannique, mon échange était définitivement consommé, et que j’étais libre de servir activement. Peut-être aurais-je pu, avec moins de scrupules, me considérer en effet comme dégagé de ma parole, et c’était l’opinion de quelques-uns de mes amis ; mais ma conscience ne pouvait me tromper : elle me disait que j’avais contracté une obligation d’honneur, et qu’il n’y avait point de milieu entre une félonie et le respect absolu de mon serment.

J’étais bien malheureux cependant, bien avide de prendre part à cette nouvelle guerre, qui pouvait recevoir d’un gouvernement énergique une impulsion décisive. L’arrivée de l’amiral Latouche à Paris ranima mes espérances. Je savais que je pouvais compter sur son appui. Il venait d’être nommé vice-amiral et d’obtenir le commandement de l’armée navale qui se rassemblait à Toulon. Il me proposa d’être à la fois son chef d’état-major et son capitaine de pavillon. Je lui expliquai ma position et mis sous ses yeux les lettres ministérielles qui m’avaient été adressées : il prit le parti de me présenter lui-même au ministre. Cette démarche déchira le voile que jusque-là j’avais eu sur les yeux. Je vis d’où partaient toutes ces propositions d’échanges inacceptables, et à qui je devais attribuer les délais qui m’avaient enchaîné. L’amiral Decrès détestait dans l’amiral Latouche son successeur probable. J’avais donc un double titre à ses ressentimens : l’audace avec laquelle j’avais affronté son orgueil et l’affection que me portait un rival odieux. À la demande que lui fit l’amiral Latouche de me désigner pour le double poste auquel m’appelait sa confiance, il répondit sèchement que mon échange n’était pas encore ratifié, et qu’il laissait à ma conscience le soin de décider si je pouvais, dans cette position, accepter un commandement. Je lui rappelai les lettres qui m’avaient été adressées, et qui toutes portaient sa signature. « Ce sont, me dit-il, des lettres de bureau insuffisantes pour vous dégager de la parole que vous avez donnée. — Puisqu’il en est ainsi, lui répondis-je, puisque mon honneur ne me permet pas d’accéder au désir de l’amiral Latouche, puisqu’aucun prisonnier n’a pu être jusqu’ici agréé par le gouvernement britannique, j’ose vous demander l’autorisation d’accomplir mon serment jusqu’au bout et de retourner en Angleterre. — Cela ne se pourrait qu’avec la permission du premier consul, et je suis certain qu’il ne le voudra pas. — Alors, monsieur le ministre, envoyez-moi à Brest. Là, il me sera possible de