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aussi paisible que le premier. Les nègres étaient déjà postés dans les broussailles, ils firent feu sur nous ; mais le général savait mieux que moi comment on éclaire une route. Il donna l’ordre aux soldats de l’escorte d’appuyer à droite et à gauche, et pendant que ses tirailleurs échangeaient à distance des coups de fusil avec les nègres, nous pûmes continuer notre entretien aussi tranquillement que si nous eussions cheminé en pays ami. Nous rentrâmes à bord de la frégate, et après le dîner le général Lavallette repartit pour Port-au-Prince. Il fallait ne pas perdre le fruit de ce premier avantage. Je me décidai donc à prolonger mon séjour sur la rade de Léogane. Déjà les insurgés étaient moins entreprenans ; ils se bornaient à incendier les habitations de la plaine et ne gênaient plus les communications avec la ville. Leur nombre cependant ne cessait de s’accroître ; on les voyait de loin s’exercer au maniement des armes, aux manœuvres d’infanterie, et défiler en corps considérables : tout faisait présager qu’ils ne tarderaient pas à reprendre l’offensive.

Près d’un mois s’était écoulé depuis le combat de Léogane, lorsque je reçus de l’amiral Latouche une lettre remplie des éloges les plus affectueux, à laquelle se trouvait jointe ma nomination au grade de capitaine de vaisseau. Le capitaine-général me conférait cette récompense à titre provisoire, en vertu des prérogatives extraordinaires dont il était investi. Ma nomination fut ratifiée le 4 mars 1803 par le premier consul, qui la fit insérer au Moniteur sans consulter et même sans prévenir le ministre de la marine : nouveau grief contre un homme qui ne possédait point déjà les sympathies de ce ministre !

En ce moment, l’amiral Latouche venait de quitter le Cap et d’arriver au Port-au-Prince sur le vaisseau le Duguay-Trouin. Il voulut me rappeler près de lui. La révolte grandissait partout et menaçait tous les points de l’île à la fois. La ville de Saint-Marc, située en regard de Léogane, sur le bord opposé de l’immense golfe de Port-au-Prince, était assiégée et près de succomber ; elle ne pouvait être sauvée que par un prompt secours. Le général Boudet s’embarqua sur ma frégate avec un tel nombre de soldats, qu’il était impossible de passer de l’arrière à l’avant. Néanmoins au point du jour nous étions sous voiles, et le soir même nous jetions l’ancre à portée de pistolet de la plage qui borde la ville de Saint-Marc. Le débarquement fut effectué en un instant. Les révoltés prirent immédiatement la fuite. Nous n’eûmes donc qu’à renforcer la garnison d’une portion des troupes que nous avions amenées. Trois jours à peine après notre départ, nous étions de retour au Port-au-Prince. Ces expéditions rapides intimidaient les nègres, qui n’essayaient jamais de lutter contre nous que lorsqu’ils se trouvaient en forces très supérieures. Pour moi, cette courte mission est demeurée