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en amateur, furent les deux premiers qui sautèrent à terre. Leur exemple donna l’élan aux autres. Pendant qu’on se battait sur ce point, les nègres qui se tenaient en réserve dans l’intérieur de la batterie débouchèrent tout à coup pour venir au secours de ceux qui se débandaient. La Mignonne et l’Arcole leur envoyèrent une bordée à mitraille et leur tuèrent beaucoup de monde. Bientôt leur déroute fut complète. Nous les poursuivions avec ardeur. Je suis convaincu que si en ce moment la garnison de Léogane eût fait une sortie, nous eussions obtenu un succès décisif. Malheureusement l’officier qui, depuis plusieurs mois, défendait si héroïquement cette ville venait d’être remplacé par un autre commandant, brave sans doute, mais arrivé récemment de France, et ne connaissant ni les localités, ni ce genre de guerre. L’ennemi cependant ne s’arrêtait pas ; il fuyait dans toutes les directions, à travers les cotonniers et par des sentiers qui nous étaient inconnus. Je craignis qu’une plus longue poursuite ne nous entraînât dans quelque embuscade, et j’ordonnai de battre la retraite pour rallier nos gens. Dans cette chaude affaire, nous eûmes une vingtaine d’hommes tués ; notre plus grande perte fut celle du brave enseigne de la Mignonne. Emporté par son courage, il se jeta dans un gros d’insurgés. Un cavalier lui fendit la tête d’un coup de sabre. Les blessés ne furent pas en proportion des morts. Nous n’en eûmes pas plus de cinq ou six. Avant d’effectuer mon retour à bord de la Mignonne, je fis établir les troupes dans la batterie d’où nous venions de débusquer les révoltés.

Il était à peu près cinq heures du soir lorsqu’un bateau du pays arriva à bord de la frégate, portant le général de brigade Lavallette. Cet officier-général était envoyé du Port-au-Prince pour diriger l’expédition que nous venions de terminer. Je lui en donnai tous les détails, et pour qu’il pût de ses propres yeux apprécier la situation, nous descendîmes dans la matinée du lendemain sur le point même où s’était opéré le débarquement. Il put juger, au nombre des cadavres ennemis restés sur le terrain, que la résistance avait été opiniâtre. Nous entrâmes dans la batterie, nous y prîmes une escorte et nous nous rendîmes en ville. Pendant la route, le général Lavallette, qui était bon juge en pareille matière, me répéta à diverses reprises : « C’est une brillante affaire, monsieur le commandant ; vous venez de rendre un immense service à la colonie. En sauvant Léogane, vous avez sauvé Port-au-Prince. » Sa surprise fut extrême quand il vit le réduit où la garnison avait résisté aux assauts de masses énormes d’insurgés. Il donna à ces braves soldats les éloges que méritait si bien leur admirable conduite.

Accompagnés de notre escorte, nous reprîmes, toujours à pied, le chemin par lequel nous étions venus. Ce second trajet ne fut pas