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son vol. Son bras avait saisi la taille de la jeune fille, et il disparaissait emportant son fardeau. Les plus hardis s’élancèrent à sa poursuite. Mon bras arrêta le premier, et les autres n’osèrent graver mon poignard. Ma promesse, remplie, je pris aussi ma route vers la montagne ; mais la tristesse était dans mon cœur.

« Le lendemain au soir, je me trouvais à Corryvarligan. Cette heure dans laquelle ma vie se rompit reparaît tout entière devant moi. La journée avait été chaude, l’air était chargé de brumes, et je voyais à mes pieds ces espaces que nous avions si souvent parcourus ensemble. J’attendais, et nos longues nuits d’affût et nos courses périlleuses passaient devant mes yeux. Votre honneur ne le croira peut-être pas : lorsque je l’aperçus, l’émotion me terrassa. La colère qui gonflait ma poitrine, les reproches que ma bouche allait lui jeter, en un instant tout disparut. J’attendais, prêt à obéir. Les génies, en vérité, entouraient sa tête ; il s’avançait sous leur escorte.

— Frère, me dit-il, les signes ont prononcé. Il faut nous incliner. Montre un cœur d’homme. Désormais chacun suivra sa route : Mac-Fy et Duncan ne se reverront plus…

« Allumant alors un feu de bruyère au moment où le soleil disparaissait derrière la montagne, il me tendit la moitié d’un gâteau d’avoine, et quand chacun de nous eut rompu une bouchée, il jeta le gâteau et le sel dans le brasier ; puis, durant près d’un long quart d’heure, je vis ses yeux demeurer fixes, son corps rester immobile, comme s’il écoutait les voix intérieures. Une larme coulait le long de sa joue lorsqu’il ouvrit la bouche : « L’esprit m’a parlé, — Saisis cette femme, m’a-t-il dit ; elle reposera tes ardeurs et prendra ton âme. Celui qui aime son trésor le dérobe aux regards. Que la solitude te la garde, et toi, deviens le serviteur qui tienne le pays à ses pieds. — J’ai entendu l’appel des esprits, et mon cœur a obéi. Eux seuls nous séparent. Ils m’ont promis protection et appui pour toi. Maintenant va en paix ; mais que leur fureur te dévore, si jamais tu essayais de pénétrer jusqu’à ma demeure ! Cette nuit, au premier quartier de la lune, la cabane de ta grand’mère sera libre. »

« Depuis lors chacun a suivi sa voie : je me suis rapproché du chef, et Mac-Fy est resté libre ; mais aujourd’hui il est venu près de moi, car le malheur des enfans est un poids qui plie les plus courageux. Son couteau ne sortira pas du fourreau, si les siens sont à l’abri du besoin ; il veut rester dans la montagne et mourir en paix là où il a vécu… »

« La voix de Duncan était émue ; il s’arrêta et garda le silence. — Dis à Mac-Fy, lui répondis-je, d’être sans crainte. Donald sera placé sous ta garde, et sa femme et sa fille ne manqueront de rien.