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« Les lèvres du chef ainsi provoqué devinrent blanches, et les veines de ses tempes se gonflèrent sous la pression du sang. Je m’attendais à quelque accident terrible ; mais, toujours maître de lui, Glen-Garry, lorsque le montagnard eut cessé de parler, sembla écouter encore, comme s’il eût voulu lui donner le temps de tout dire. Se tournant ensuite vers moi avec le plus grand calme : — Voilà vingt années que ma bonté tolère cet homme. Vous êtes témoin de la récompense ; maintenant que ces terres vous appartiennent, sachez qu’il n’a aucun droit. Libre à vous de chasser le misérable, si bon vous semble !

« En entendant ces paroles, Mac-Fy avait tiré son poignard, et le plantant à terre à ses pieds : — Mon droit et mon titre, les voici, dit-il ; étranger, ne l’oublie pas. — Et se retirant sans se hâter, menaçant encore, il traversa les rangs des montagnards, qui s’ouvraient avec crainte devant lui.

« Trois jours après, Glen-Garry heurta une pierre dans un sentier abrupt, et, perdant l’équilibre, roula jusqu’au fond du ravin. Ses serviteurs relevèrent un cadavre. Le chef s’était brisé le crâne, et tout le pays raconta que la malédiction de Mac-Fy lui avait donné la mort. Le prestige de cet homme devint plus grand encore, et je dus me regarder comme très heureux d’avoir été pris en bienveillance lors de mon arrivée. Je ne sais trop en vérité si j’aurais pu sans cela m’établir dans ces montagnes ; Mac-Fy resta donc paisible possesseur de son île. Durant de longues années, je fermai les yeux sur ses méfaits ; de son côté, je dois le dire à sa louange, il me continua ses bonnes grâces, et daignait me saluer quand le hasard nous mettait en présence. Malheureusement je pris pour fermier un homme des basses terres. Le fermier tenait à son bien, et Mac-Fy aux moutons du fermier. La guerre fut bientôt déclarée. Chaque nuit de nouveaux moutons disparaissaient. Enfin une plainte fut portée à la justice. Vous savez peut-être le reste : la résistance, la fuite des hommes de loi, leur retour et la destruction de la cabane ? »

— Mais nous ne savons rien, vous ne nous avez rien dit.

— L’histoire serait trop longue, elle vous fatiguerait.

— Non pas… il nous la faut… nous la voulons… elle nous est due.

— Eh bien ! soit… j’obéis. — Et la voix de M. E… avait pris, en prononçant ces paroles, un accent plus grave qui commandait notre attention. Les événemens dont nous allions entendre le récit l’avaient évidemment frappé.

« Il y avait donc vingt ans, nous dit-il, que la femme de Mac-Fy habitait cette île, quand pour la première fois elle se trouva face à face avec une figure étrangère. La terreur des sorts eût arrêté un homme du pays ; mais les gens de justice passent pour être incrédules,