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de sa femme, qu’il adorait avec la fureur jalouse d’un sauvage et tenait cachée ici même, loin de tous les regards, Mac-Fy l’aurait déjà tué. De son vivant, pas un montagnard n’eût osé aborder dans cette île, que les superstitions populaires entouraient d’une barrière inviolable. Il passait pour sorcier. Tous le croyaient et tremblaient devant une de ses menaces. Ces terreurs au reste n’étaient que trop justifiées.

— Vous avez connu Mac-Fy ?

— Oui certes, et je me rappelle encore l’étrange étonnement que sa vue me causa quand je l’aperçus pour la première fois. Glen-Garry, le chef du clan, venait de me faire parcourir ces terres, que je voulais acheter, et, le marché terminé, nous étions allés rejoindre les tenanciers, ceux du moins qui ne devaient pas le suivre dans son émigration nouvelle, car Glen-Garry quittait l’Ecosse pour chercher en Australie des solitudes plus silencieuses encore. Les tenanciers nous attendaient sur les bords du lac, au débouché de cette grande vallée, et nous avions pris place parmi eux, quand un homme vêtu du costume national fendit les rangs et marcha droit à Glen-Garry. Vous rendre la hardiesse dédaigneuse, l’expression dure et hautaine de ses traits, le respect ou plutôt le sentiment de terreur des tenanciers, me serait impossible. Cet homme s’avançait la tête légèrement rejetée en arrière, le regard fixe, les narines gonflées de colère, comme un suzerain qui va gourmander un vassal. Son grand corps semblait sous le coup d’une fureur contenue, et sa main droite serrait le manche de son poignard. Deux ou trois serviteurs dévoués de Glen-Garry, redoutant un malheur, s’élancèrent pour couvrir leur maître ; mais un geste les maintint à distance. Mac-Fy s’était arrêté à trois pas du chef : leurs regards se croisèrent comme deux traits de feu. Glen-Garry pourtant restait impassible, et rien dans sa personne ne trahit l’émotion, lorsque le bandit, le bras tendu dans une attitude de menace et de haine, prononça à haute voix, de façon à ce que tous pussent l’entendre, cette malédiction dont les termes ne se sont pas effacés de ma mémoire :

« Sois maudit, Glen-Garry, pour le mal que tu fais aux affligés !

« Sois maudit pour l’abandon où tu laisses la terre de tes pères !

« Sois maudit, Glen-Garry, toi dont le bras, chargé de trahisons, amène l’étranger !

« C’est moi qui parle, entends-tu ? moi, Mac-Fy, que les esprits protègent ! Prends garde à toi !

« Que la malédiction reste sur ta tête ! qu’elle ne s’étende pas sur celui qui vient !

« On dit sa main ouverte aux malheureux, et les vents apportent les louanges de sa compagne… »