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Mûri par leur soleil, de leurs arts enivré ;
Mais dès que je sentis, ô ma terre natale,
L’odeur qui des genêts et des landes s’exhale,
Lorsque je vis le flux, le reflux de la mer,
Et les tristes sapins se balancer dans l’air,
Adieu les orangers, les marbres de Carrare !
Mon instinct l’emporta, je redevins barbare.
Et j’oubliai les noms des antiques hiros.
Pour chanter les combats des loups et des taureaux !


Ces beaux vers peignent bien l’émotion que ressentit le poète, lorsqu’il revit l’Armorique après les musées de Rome et les enchantemens d’Ischia. Sa douce patrie avait gagné à ce contraste une physionomie nouvelle ; les landes, les grèves, les men-hîr, les mœurs celtiques, prenaient à ses yeux un caractère sauvage et grandiose que nul poète encore n’avait chanté. Le poète de la Bretagne et des Bretons, ce sera lui. Nous n’avons plus affaire ici au rêveur adolescent dont l’idylle demi-grecque, demi-celtique, rappelait, on l’a dit, un Moschus breton ; ce n’est pas davantage l’artiste philosophe qui poursuivait librement la fleur d’or au pays de Virgile et de Raphaël ; une seconde transformation s’est faite dans son esprit. La Bretagne populaire et rustique lui est apparue dans sa beauté barbare ; pour la reproduire telle qu’il la voit, pour étudier ces antiques mœurs, ces traditions druidiques et chrétiennes restées là depuis des milliers d’années, il prendra lui-même le costume du paysan. Un de ses amis d’enfance, et l’un de ceux qui l’ont le mieux connu, M. Guieysse, à qui est dédiée une des jolies pièces de Marie, interrogé par moi sur la vie de Brizeux en Cornouaille, m’écrivait dernièrement : « Vous savez avec quel plaisir il revenait en Bretagne. Après avoir consacré quelques semaines aux joies de la famille, il se retirait dans un bourg, loin des villes, le plus ordinairement dans une mauvaise auberge, seul gîte qu’il pût se procurer ; qu’importe ? il y trouvait les longues causeries du soir dans la langue du pays, au coin de la vaste cheminée, avec des paysans à qui il chantait ses vers bretons, et parmi lesquels il a rencontré plus d’une fois des appréciateurs intelligens. » Je le vois d’ici dans l’auberge du bourg, heureux de causer breton avec les gens de Cornouaille et de Léon, de noter leurs impressions naïves, et de passer ainsi les heures de la veillée en pleine poésie rustique. Dans le pays de Vannes comme dans le pays de Tréguier, à Carnac et dans les îles, il allait rassemblant ces merveilleux traits de poésie dont son œuvre a si bien profité. Un juge très autorisé[1] a exprimé le regret qu’un poème intitulé les Bretons ne fût pas consacré surtout à la Bretagne héroïque, à la Bretagne des Du Guesclin et des Beaumanoir, des Montfort et

  1. M. Charles Magnin ; voyez la Revue du 1er août 1815.