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Pour la garance, pour la cochenille, pour tous ces produits européens et tropicaux qui doivent un jour se plaire sous le ciel favorisé de l’Algérie, nous voyons les efforts : tout est préparé, encouragé, primé ; mais on attend encore les résultats. Tout est semé, mais où est la récolte ? Sans doute, et les libres-échangistes ont raison sur ce point, si ces encouragemens et ces primes n’exercent point, dans un délai de quelques années, une influence décisive sur la production, il faudra y renoncer sans hésitation, et ne point s’acharner à la création d’une sorte d’agriculture officielle. Il n’est pas indispensable que l’Algérie produise du coton ; il n’est même pas utile qu’elle produise cette matière première, si pour la qualité comme pour les prix elle ne doit pas se trouver en mesure de soutenir sur notre marché la concurrence des États-Unis. Cependant ce n’est pas au début des expériences qu’il convient de perdre courage, et l’on ne saurait supposer que le gouvernement abandonnera brusquement le système qu’il a adopté dans l’intérêt de la colonie. Il convient donc, dans la discussion, d’accepter pour quelque temps au moins ce système, et dès lors on ne doit pas compter sur une agriculture, à l’état d’essai et d’embryon, pour fournir immédiatement à l’Algérie des élémens d’échange sur les marchés étrangers, où ses produits rencontreraient une concurrence écrasante ; si la main protectrice de l’état se retirait (et ce serait la conséquence inévitable du nouveau régime), ces premières apparences de culture rentreraient vite sous le sable. La liberté, dit-on, attirerait les capitaux, qui féconderaient l’industrie agricole. Dans les circonstances que nous venons de décrire, où serait le capitaliste assez audacieux pour défricher un domaine algérien, s’il n’obtenait pas, pendant ses premières années d’exploitation, l’appui d’une législation qui lui garantirait le placement de ses produits ? Sous prétexte de faire vivre l’Algérie, selon l’ordonnance de la doctrine économique, on tarirait en elle les sources de la vie, et, dans le vain espoir de la pousser plus rapidement vers l’âge adulte, on l’étoufferait au berceau. Les colons le sentaient bien, lorsqu’ils demandaient si instamment, avant 1851, l’admission libre en France de leurs produits naturels ; à aucun prix, ils ne sacrifieront ce privilège, qui, pour un temps plus ou moins long, sera nécessaire aux progrès de la colonisation.

On cite les possessions anglaises, et en particulier l’Australie. Oui, le libre échange existe aujourd’hui dans les territoires de la Grande-Bretagne. De la métropole, il est passé aux colonies. Le Canada et les Indes ont supprimé la prohibition, les taxes et les surtaxes, après que l’Angleterre, leur en eut donné l’exemple. Les faits ont observé la marche logique : la législation des colonies, très restrictive d’abord, puis très libérale, a suivi pas à pas les évolutions de la loi métropolitaine. Il en sera de même en France, car, faut-il le répéter ? cette harmonie dans le régime économique des différentes parties d’un empire est attestée par l’histoire de tous les temps. L’Angleterre d’ailleurs se trouve, pour la solution de ces problèmes si complexes, dans une